Dario Argento fait son (ultime ?) comeback dans Dark Glasses
Des poulets sans talent troquent le badge contre la friture dans cette comédie policière qui a cartonné en Corée du Sud.
Malgré tout le respect que l’on a pour son impressionnante filmographie et l’amour que lui porte une légion de fans fidèles dans le monde entier (dont fait partie Fabrice du Welz, qui lui a offert un rôle devant la caméra dans le récent Vortex), le passage du temps n’a pas été tendre avec Dario Argento. Absent de la chaise de réalisateur depuis le catastrophique Dracula (2012), l’auteur de Suspiria et Ténèbres avait vu son étoile faiblir bien avant cette sortie en route en trois honteuses dimensions. L’inédit (et involontairement hilarant) Giallo avec Adrien Brody, le raté Mother of Tears et l’anonyme Card Player constituaient autant de preuves qu’en ce début de XXe siècle, il était peut-être temps pour l’ami Dario de raccrocher les claps. Il aura fallu l’insistance de son coscénariste Franco Ferrini et de sa fille Asia Argento pour exhumer des limbes un vieux scénario qui forme la base de son nouveau long-métrage, Occhialeri Neri (« lunettes noires » en français, Dark Glasses pour l’international). O surprise : il s’agit d’un nouveau giallo, un slasher à l’italienne donc, qui furète du côté de l’épouvante.
La force de Korean Fried Chicken réside surtout dans l’alchimie entre ses cinq personnages principaux : un gang de « poulets » hébétés et immédiatement attachants, que l’on découvre lors d’une interpellation calamiteuse à base de descentes en rappel incontrôlé et de poursuites mal embarquées. Ryu Seung-ryong, vétéran de l’industrie coréenne au charisme rugueux (croisé dans War of the arrows, Psychokinesis, Masquerade ou Miracle in cell 7) joue de son œil hagard et d’un jeu de chien battu pour incarner Go, le boss de cette brigade de la loose, qui bénéficie d’un coup de pouce de collègues plus sérieux pour entamer l’étroite surveillance d’une troupe de petits trafiquants. Ces derniers se préparent à accueillir un parrain de la drogue psychopathe et recherché dans tout le pays. Affalés dans le restaurant en face de la rue, Go et ses hommes (et femme) se retrouvent obligés de racheter le commerce devenu désert pour poursuivre leur planque. Ce qui veut dire qu’ils vont devoir eux-mêmes cuisiner et vendre du poulet frit ! Une situation absurde qui « empire » lorsqu’il devient évident pour tout le quartier que l’un d’entre eux, qui tient la recette de sa mère, cuisine le poulet de manière divine…
« Dark Glasses serait, non pas un retour en grâce, mais au moins une renaissance tardive pour le cinéaste octogénaire. »
Là où les choses deviennent vraiment intéressantes, c’est que depuis sa présentation au festival de Berlin, et sa sortie en Italie, les bons échos se multiplient. Dark Glasses serait, non pas un retour en grâce, mais au moins une renaissance tardive ! Le cinéaste octogénaire aurait retrouvé ses marques et son sérieux en tenant solidement les rênes d’une histoire horrifique, qui met aux prises une prostituée de luxe devenue aveugle (la débutante Ilena Pastorelli) et l’orphelin chinois qu’elle recueille avec un tueur en série brutal qui s’attaque précisément aux filles de joie. L’action se déroule bien évidemment à Rome, notamment dans les quartiers asiatiques, ainsi que dans la province du Latium. Argento n’étant pas du genre à retenir ses coups, la bande-annonce anglo-saxonne révélée cette semaine par la plate-forme Shudder (qui sortira le film aux USA en septembre) laisse augurer d’une sacrée débauche de gore. C’est la marque de fabrique d’Argento « dernière période » : moins de baroque, plus d’excès de violence nauséeuse. De quoi sans aucun doute effrayer les distributeurs français : bien qu’il continue à faire le tour des festivals de l’Hexagone (les Hallucinations Collectives au printemps dernier, Strasbourg en septembre), Dark Glasses devrait sortir chez nous directement en vidéo – un passage en exclusivité sur Canal+ est évoqué.