En Corée du Sud, il y a chaque année les succès locaux, qui font la nique aux champions du box-office américains. Et puis il y a les tsunamis populaires, ces quelques titres qui monopolisent des mois durant l’attention le public, amenant à chaque fois près de la moitié de la population du pays dans les salles. Masquerade est le dernier raz-de-marée en date sur place : malgré ses atours historiques (pas forcément le genre le plus populaire chez les Coréens, fans de mélos et de films d’action), c’est une œuvre conçue pour le grand public, tantôt exigeante, tantôt triviale.

C’est également le dernier grand vainqueur des Oscars locaux, les Grand Bell Awards : le film en a raflé pas moins de 15, ne laissant que des miettes à ses prestigieux concurrents, tels le Pieta de Kim Ki-Duk. Avec son casting de premier ordre, ses décors et costumes opulents et sa facture technique impeccable, le film ressemble de toute manière dès le départ à un aimant à récompenses.

Sosie royal

Hasun face au roi Gwanghae (Lee Byeong-Heon) : le roi et son sosie s’apprêtent à changer la face du pays…

L’argument narratif de Masquerade ne date pas d’hier : le film de Choo Chang-Min (Late Blossom) qui se déroule au XVIIe siècle, retrace les quinze jours de règne du sosie d’un roi empoisonné, mis au pouvoir temporairement et dont les décisions ont marqué l’histoire du pays. Le fait est historique, mais l’idée, elle, a depuis longtemps fait les beaux jours d’écrivains et scénaristes du monde entier : Molière, Dumas, Mark Twain, Chaplin, Cocteau et, hem, Sacha Baron Cohen avec The Dictator ont tous tenté cet exercice propice à la satire des puissants et à l’exaltation de l’humanisme du peuple. Masquerade parle, comme ses prédécesseur, de renversement des valeurs : celui qui amène le bouffon de maison close Hasun, éduqué mais prolétaire, à prendre la place et le trône du roi Gwanghae, drogué par les ennemis de la cour pour déstabiliser le régime. Personnage hautain, obsédé et irascible, Gwanghae n’est pourtant pas montré comme un souverain authentiquement mauvais, mais comme un rouage d’une politique en vase clos, indifférent au sort de son peuple. Tout le contraire de Hasun, figure assez moderne d’homme modeste, immature et veule, mais empreint d’une bonté d’esprit, d’une émotion à fleur de peau et d’une honnêteté qui vont transformer petit à petit son nouvel entourage.

Masquerade a beau être une œuvre historique rigoureuse, avec des intrigues politiques ésotériques, ce n’est pas un pensum lourdaud façon L’empereur et l’assassin. De manière typiquement coréenne, le récit navigue d’un ton à l’autre, le film étant dans sa première heure une comédie proprement hilarante, la découverte des pratiques royales par le sosie du roi étant l’occasion d’enchaîner les gags plus (la défécation publique, sommet de mauvais goût, ou la question essentielle de la castration des eunuques) ou moins (Hasun prend une voix grave pour imiter le roi) gras. L’entourage de la cour, composé d’un intendant impassible servant de clown blanc à l’auguste Hasun, d’un eunuque prodiguant des conseils d’un air détaché et d’un garde du corps ne lâchant pas son maître d’une semelle, donne à Choo Chang-Min une source inépuisable de ressorts comiques.

Sortez les violons

Hasun finit par gagner la confiance de la Reine (Han Hyo-Joo), cible des comploteurs.

Puis le ton change, lorsque Hasun découvre l’injustice des taxes foncières (oui, vraiment, c’est un élément central de l’intrigue), défend l’honneur de « sa » Reine ou ordonne de retrouver la mère d’une servante adolescente. Bref, lorsque s’estompe l’effet de décalage humoristique amené par l’arrivée d’un rustre dans un monde d’opulence, et que le script creuse les vrais thèmes qui animent Masquerade : les responsabilités morales qui incombent aux hommes de pouvoir, la nécessité de servir le peuple plutôt que les intérêts d’une caste… Un beau programme, traité par le cinéaste sous l’angle du mélodrame édifiant. À tel point que les rires disparaissent pour de bon dans la dernière ligne droite, quand les trahisons s’enchaînent au grand jour et que les soldats envahissent le palais à la manière de La cité interdite.

C’est dans cette deuxième heure que Masquerade perd de son charme si particulier, le récit mené jusque là à un train d’enfer devenant répétitif, maladroit (le rebondissement final est par exemple trop tortueux pour être efficace) et surtout démonstratif : les larmes se mettent à couler par torrents sur l’écran, sans doute du fait de la douleur infligée par l’explosion des violons dans la bande-son. Sûr de la portée de son message, Choo Chang-Min se réfugie dans les codes usés du drame moraliste, et tire sur la corde émotionnelle à tel point que ce qui paraissait subtil et naturel devient artificiel et pachydermique. C’est peut-être le prix à payer pour décrocher un succès populaire historique, mais c’est un écueil qu’avait su éviter le similaire Roi et le clown, sorti en 2005 et qui lui aussi avait décroché la timbale.

Heureusement, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, le film maintient un vrai standing esthétique durant ses 130 minutes, avec une photo bardée de couleurs vives mettant particulièrement en valeur les intérieurs sobres et imposants du palais royal. Les comédiens, en particulier Lee Byeong-Heon qui endosse un double rôle haut en couleurs, bien loin de GI Joe ou I saw the devil, ainsi que Ryoo Seung-Yong (La ligne sacrée, The Frontline), parfait en bras droit taciturne gagné par la clarté d’esprit de son « pantin », contribuent aussi à élever Masquerade au-dessus du lot. En définitive, le film assume son rôle pédagogique de leçon d’histoire et de politique – utopiste – aussi bien que ses velléités commerciales, ce qui contribue à lui conférer un capital sympathie certain. Une intéressante découverte.


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Trois sur cinq
Masquerade (Gwanghae)
De Choo Chang-Min
2012 / Corée du Sud / 131 minutes
Avec Lee Byeong-Heon, Ryoo Seung-Yong, Jang Gwang
Sortie prochainement
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