Barbare : le dernier AirBNB sur la gauche
La surprise Barbare est une réussite qui tire une partie de sa force de son impeccable montée en tension. La série B horrifique de l’année ?
Même précédé de la réputation acquise aux USA, où le film a réalisé une belle performance au box-office début septembre, Barbare fait figure de surprise sortie de nulle part. Son réalisateur Zach Cregger est un (quasi) débutant, le long-métrage a été tourné en Europe de l’Est pour un budget équivalent à une production Blumhouse, amassé par un studio indépendant qui avait indirectement des accords de distribution avec 20th Century Fox, englouti comme chacun sait… par Disney. Ceci explique la diffusion du film sur la plateforme SVOD de Mickey en France, alors même que les qualités évidentes de Barbare, et son appartenance à un genre plus apprécié que jamais au cinéma lui ouvraient grand les portes d’une distribution sur grand écran. Tant pis : le film, lui, est accessible et à découvrir dans le même état de stupeur et d’inquiétude que son héroïne.
Énigmes dans le noir
C’est que Barbare, structuré comme une poupée russe cachant minutieusement au spectateur la nature de ses virages narratifs successifs, tire une grande partie de sa force de son côté imprévisible, énigmatique. C’est simple : même si l’on meurt d’envie à chaque ligne de rentrer dans les détails de ce qui attend Tess (excellente Georgina Campbell, vue dans Broadchurch et Black Mirror), documentariste venue à Detroit pour un entretien d’embauche et louant une maison sur AirBNB au cœur d’un quartier abandonné de la ville, la décence nous empêche de nous étendre sur les surprises que le film réserve. Tout le monde n’a pas cette patience sur les réseaux sociaux… Le fait de citer les influences auxquelles le long-métrage de Cregger se réfère, consciemment ou non, suffit à déflorer en partie le suspense. Il empêcherait même de profiter de la redoutable efficacité d’une première demi-heure où un décor simple et deux personnages qui se jaugent autant qu’ils se séduisent, suffit à générer une tension palpable, universelle, en raccord direct avec la connaissance partagée par le public des codes du film d’horreur et les inquiétudes sociétales de notre époque.
« Il faut avoir peur, car tout, du titre à la bande originale en passant
par la situation, nous pousse à la ressentir, mais de quoi et de qui ? »
Aussi pleine de ressources que Tess soit, notre héroïne est, dans la nuit pluvieuse où débute l’action, une femme seule déposée dans un quartier délabré et désert (pensez Don’t Breathe, pensez It Follows), qui tombe nez à nez avec Keith, un inconnu (joué par Bill Skarsgard, dont le souvenir de Pennywise dans les Ça suffit à semer le doute dans tous les esprits) ayant loué la même maison en ligne sur un autre site. Un quiproquo numérique, certes, mais le point de départ d’une potentielle situation dangereuse pour elle, surtout. Tess accepte de partager le logement avec le jeune homme, et le film joue malicieusement à partir de ce moment avec nos questionnements, qui sont les mêmes que les siens. Elle redouble même de précautions : contrairement à ce qui est écrit ici et là, l’héroïne de Barbare est tout sauf une idiote terminale. Ses choix (regrettables certes, car dans la même situation, que ferions-nous sinon fuir comme des dératés ?) obéissent à une échelle de valeurs qui lui est propre, comme de venir en aide aux autres même si cela implique d’aller au-devant de la pire peur qui soit, celle de l’inconnu. Tess se méfie, donc, de tout, au point de devancer nos propres réactions. Il faut avoir peur, car tout, du titre à la bande originale synthétique à souhait en passant par la situation, nous pousse à la ressentir, mais de quoi et de qui ? Cette sensation délicieuse, affreusement ludique, Barbare la fait monter en crescendo, avec le savoir-faire visuel et rythmique d’un vieux maître jusqu’à une double révélation qui constitue sans doute le point culminant, en termes de tension et de mise en scène, du long-métrage.
La nature du Mal
Lorsque Barbare finit par introduire d’autres personnages mémorables dans l’équation, notamment un inénarrable (et indéfendable) acteur de Hollywood joué par Justin Long, le film fait volontairement baisser la tension pour mieux enrichir le sous-texte et les paraboles qui parcourent en souterrain l’histoire. Le choix du titre prend de nouveaux sens, les messages sur les différentes formes que peut prendre l’oppression masculine (#MeToo est au cœur du propos) ou sur les ravages insidieux de la gentrification se font plus explicites. Barbare descend dans l’horreur pure, et même s’il continue de placer des chausse-trappes, des pochettes surprises morbides ici et là, que la mise en scène se fait plus démonstrative et exagérée (on décèle quelques grands angles à la Sam Raimi et des excès craspec qui auraient plus à Wes Craven), le fond du scénario joue la carte, relative, de la sécurité. Il s’agit d’un cinéma de connaisseurs fait par des connaisseurs, et il est difficile de proposer du 100 % inédit une fois que les cartes ont été mises, pour de bon, sur la table.
Barbare n’en reste pas moins une grande réussite, parce qu’il agence des éléments connus, rebattus, avec une foi nouvelle et une maîtrise évidente pour pratiquement donner l’impression que tout cela n’a pas déjà été vu mille fois. Surtout, il redonne un sens à cette idée qu’un film de genre, un film à suspense, n’est jamais aussi jouissif que lorsque son audience en sait autant que ses personnages et qu’elle avance avec eux, une lumière vacillante à la main, au cœur des ténèbres, où notre imagination projette nos pires cauchemars.