Utopiales 2023 : un festival entre bizarreries et grands spectacles
Le festival nantais des Utopiales, dédié à la science-fiction, a proposé pendant quatre jours un cocktail de films parfois ratés, parfois impressionnants.
Toujours logé au cœur de la Cité des Congrès, poumon culturel de la capitale des Pays de la Loire, le Festival des Utopiales, qui fêtait du 1er au 5 novembre dernier sa 24e année d’existence, n’a pas déçu ses quelque 150 000 visiteurs. Le concept de mélanger arts et sciences, conférences et jeux, séances de dédicaces littéraires et expositions pointues, continue de remporter l’adhésion – mais ce qui nous intéressait le plus restait la sélection de longs-métrages, concoctée par l’équipe de l’Étrange Festival. 85 séances en tout, entre rétrospectives thématisées (Evil Dead 3 en copie neuve notamment a attiré les foules), section jeunesse/animation et compétition officielle, où se trouvaient la plupart des avant-premières auxquelles nous avons assisté. Et, c’est le jeu dans chaque festival, les bonnes surprises ont succédé aux amères déceptions, avec à signaler quand même aussi certains moments de consternation. Petit bilan !
Consternation et feel good movies
Commençons par le fond du baril, la douloureuse « exclusivité » que constituait Space Agents : the mysterious Ax. ll y a des mystères difficiles à expliquer dans la vie et la présence d’un tel navet plus spécial que spatial dans un festival en faisait partie. Sorte de longue cinématique PS2 aussi imbitable que kitsch, cette production réalisée par un seul homme (qui manque de recul sur son talent de réalisateur comme de dialoguiste) faisait pitié dès les premières secondes, en plus de rendre le public à moitié sourd. Plus « accompli » mais pas moins regrettable, le film indé américain Quantum Suicide donnait en effet l’envie d’en finir avec la vie au bout du premier quart d’heure. Sorte de sous –Primer fauché et abscons sur un type imbuvable testant la théorie du suicide quantique (c’est moins passionnant que ça en a l’air), ce « truc » au montage et à la prétention incroyable donnait l’impression d’être coincé dans une faille temporelle devant un film de 6h.
« Mon ami robot est une bulle de plaisir
truffée de références au cinéma muet. »
Autant dire que ce titre n’a pas remporté le moindre prix, contrairement à Molli & Max in the future, mention spéciale du jury et prototype amusant de romcom volontairement kitsch, rejouant à l’aide de fonds verts et trucages DIY sa version futuriste de Quand Harry rencontre Sally. C’est très spécial et statique, mais le charme des interprètes, le world building fada et des dialogues parfois cinglants aident à remporter l’adhésion. Charmant, aussi, le nouveau film de Pablo « Blancanieves » Berger, Mon ami robot. Un film d’animation muet pour enfants dans un New York à la Zootopie, où un chien solitaire se commande un robot pour ne plus être seul. Le résultat est truffé de références au cinéma des années 20, une bulle de plaisir colorée très bien mise en scène, seulement handicapée par des longueurs superflues.
Curiosités et blockbusters venus d’Asie
Aux Utopiales, il y avait aussi de belles curiosités, comme l’Allemand Universal Theory, prix du Jury. Un néo-noir surréaliste et fantastique en costume, niché dans les montagnes autrichiennes. Nébuleux, mais fascinant, le scénario parle de multivers, de savants jaloux, de secrets de guerre et de failles souterraines, dans une ambiance à mi-chemin entre David Lynch et Fritz Lang. C’est unique, c’est vaporeux et subjuguant, et on a envie de rester longtemps blottis dans ce noir et blanc splendide. Le film sortira en 2024 au cinéma, ce qui ne devrait pas être le cas de T.I.M., série B britannique à l’opposé complet du spectre. La thématique est ici rebattue : un couple en reconstruction s’installe dans une splendide baraque et hérite d’un robot humanoïde à tout faire qui va se détraquer et développer une obsession pour l’épouse scientifique. Dans un genre archi-familier, le film se distingue surtout par son côté prévisible – la question n’est pas de savoir si le robot pétera un circuit, mais quand et à quel point. Un bon point pour le casting et certaines scènes étonnamment brutales.
« The Wandering Earth II part d’une idée folle,
exploitée pendant 3 heures dans un spectacle total. »
Un (long) mot pour finir sur le contingent asiatique, qui consistait en deux films coréens et un blockbuster chinois très attendus. Sélectionné dans pas mal de festivals, Concrete Utopia (prix du public) s’est montré à la hauteur de sa réputation. Film catastrophe et post-apocalyptique, porté sur la métaphore sociale, cette œuvre particulièrement noire expose avec force ses idées nihilistes sur la nature humaine, sur l’égoïsme inné des hommes en temps de crise. Tout ne fonctionne pas toujours – les personnages finissent par tomber un peu dans la caricature – mais Concrete Utopia impressionne, et Lee Byung-hun vole la vedette dans un rôle à sa mesure ! Moins réussi, et pourtant ambitieux sur le papier, The Moon a été projeté devant une salle comble mais n’a pas convaincu l’assistance. Ce gros film de SF met les bouchées doubles dans son histoire de voyage vers la Lune catastrophique, mais le mélo et les invraisemblances finissent par déborder de partout. Les VFX sont hésitants, le production design pas à la hauteur, l’humour pataud, le montage poussif. The Moon veut nous faire décoller, mais hélas, Apollo 13, Gravity, Moon et Seul sur mars, auxquels on pense constamment, peuvent dormir tranquilles.
Terminons avec le clou du spectacle de cette édition, The Wandering Earth II, à paraître bientôt en DVD et Blu-Ray. Mammouth futuriste venu de Chine, cette suite/reboot du premier film sorti en 2019 est toujours réalisée par Frant Gwo et adaptée des romans de Liu Cixin : elle raconte la même histoire d’une humanité cherchant à échapper à l’explosion prochaine du Soleil en construisant des milliers de réacteurs pour déplacer la Terre hors du système solaire. Une idée folle et plutôt poétique, exploitée pendant 3 heures dans un spectacle SF total. C’est inégal, épuisant, le mélange de tons et de rythmes détonne. Mais il y a du souffle et quelque chose de grisant dans cette fresque aux effets spéciaux parfaits, qui ne devrait visiblement pas rester sans suite…