Heads of State : les chefs d’État passent à l’action

Dans le paysage sinistré des films d’action Amazon, Heads of State se distingue par la solidité de sa mise en scène et une bonne humeur communicative.
Dans l’océan de sorties quotidiennes qu’Amazon Prime Video réserve à ses abonnés, le genre du film d’action est l’un des plus représentés. Via son studio et ses acquisitions, Amazon se charge de maintenir un rythme élevé de sorties d’inédits spectaculaires, pour le meilleur, parfois, mais souvent pour le pire. Rien qu’en 2025, Shadow Force, G20, Le jardinier ou A Working Man n’ont pas exactement enflammé les critiques et les spectateurs. Même John Cena, co-star de Heads of State, en connaît un rayon niveau ratages mouvementés puisqu’il s’est retrouvé à l’affiche sur Prime des mauvais Jackpot! et Freelance. Bref, il y avait pas mal de chances que Heads of State soit une nouvelle mauvaise pioche. Et la surprise au vu du résultat, sympathique et bien emballé, n’est pas tant retentissante que rassurante : avec un gros budget et un réalisateur qui a du flair pour orchestrer ses scènes d’action, il est possible de livrer autre chose qu’une purge illisible et anonyme destinée à combler vos fins de soirée.
Fuite présidentielle

Pourtant, le pitch ne décolle pas les papiers peints en matière d’originalité comme de plausibilité : dans une réalité parallèle tout de même proche d’Idiocracie, les USA ont élu président un acteur de films de guerre à gros bras, Will Derringer (John Cena), et le premier ministre britannique Sam Clarke, dont la cote de popularité a chuté, a le charisme monstrueux d’Idris Elba. Les deux hommes ne peuvent pas se sentir, et font à peine bonne figure devant la presse et le monde. Acceptant de monter à bord d’Air Force One pour un voyage diplomatique en Europe, Clarke, comme Derringer, est victime d’une attaque massive en plein air, orchestrée par un trafiquant d’armes inarrêtable (Paddy Considine, sous-employé comme une bonne partie du casting). Les deux chefs d’État s’en tirent à peine, parachutés sans aucune aide en pleine Europe de l’Est. Ils vont devoir survivre à de nouvelles attaques, débusquer la taupe qui les a trahis, avec l’aide d’une agente du MI6 présumée morte, Noel Bisset (Priyanka Chopra-Jonas, pas loin de voler la vedette à ses collègues masculins), qui se trouve être l’ex-petite amie de Clarke…
« Heads of State ne traite jamais par-dessus la jambe
son objectif de divertir sans réinventer la roue. »
Il en faut peu, parfois, pour faire lever un sourcil au téléspectateur blasé par ses centaines de soirées passées devant des divertissements qui n’en ont que la note d’intention. De l’alchimie d’abord : c’est important pour un néo-buddy movie qui se revendique des années 90 et mise autant sur les dialogues que sur les bastons et les explosions. De ce côté-là, Heads of State remplit son contrat : Cena et Elba, qui se sont croisés de loin sur des franchises comme Fast & Furious, se complètent parfaitement en improbables dirigeants gros bras ayant des avis très divergents sur l’importance de leurs boulots respectifs. Le film les entoure d’un nombre incalculable de personnages secondaires, du patriote surexcité et surarmé joué par Jack Quaid (The Boys) à la vice-présidente louche incarnée par Carla Gugino (La chute de la maison Usher). S’ils n’ont pas des rôles complexes à défendre, personne ne semble là pour empocher un cachet : tout le monde s’amuse et se prend au jeu, en jouant premier degré des scènes impossibles à prendre autrement qu’au second.
Bien filmer l’action, c’est pas si facile

Une bonne réalisation ensuite. C’est triste à dire, mais sans être du David Fincher, Heads of State est excentrique et inventif dans sa mise en scène et son montage, en tout cas plus que la majorité de ses collègues direct-to-video peinant à justifier des budgets mirobolants cramés dans le salaire de leurs acteurs. Réalisateur russe du pénible Hardcore Henry et surtout du plus réussi Nobody, Ilya Naishuller trouve le bon tempo pour nous faire avaler son invraisemblable et prévisible intrigue à base d’agents doubles, de vengeances aveugles et d’armes technologiques ultimes. Il ouvre les hostilités avec une scène d’espionnage qu’on pourrait croire tirée d’un Mission : Impossible, avant d’orchestrer quelques morceaux de bravoure à bord d’un avion, dans une arrière-cour de campagne ou un appartement sécurisé réduit méthodiquement en miettes… Généreux et surtout lisible, exploitant ses décors avec soin et tirant le meilleur de chorégraphies basiques, mais impactantes, se permettant même quelques montages tarantinesques en cours de route, Heads of State ne traite jamais par-dessus la jambe son objectif de divertir sans réinventer la roue. C’est sa grande limite, de la première à la dernière minute — surtout que le dénouement gentillet apparaît faiblard par rapport à l’aventure qui précède. Mais c’est aussi une petite réussite à souligner dans un paysage, en tout cas hollywoodien, pas loin d’être sinistré dans ce domaine — et ce quelle que soit la plateforme.