A House of Dynamite : le captivant chaos de Kathryn Bigelow

par | 23 octobre 2025

A House of Dynamite : le captivant chaos de Kathryn Bigelow

Absente des écrans depuis 2017, Kathryn Bigelow signe un coup de maître avec le suffocant A House of Dynamite, thriller nucléaire suintant d’effroi.

Huit ans après Detroit, Kathryn Bigelow, première femme réalisatrice à avoir remporté l’Oscar de la meilleure réalisation pour Démineurs, fait son grand retour… directement sur Netflix, avec A House of Dynamite. Ce thriller politique apocalyptique, nommé pour le Lion d’Or à la 82e Mostra de Venise et déjà dans la course pour les prochains Oscars, offre une plongée suffocante dans un contexte politique explosif, brûlant d’actualité. Le film s’ouvre sur un constat glaçant : « Après la guerre froide, le consensus était qu’il serait préférable de limiter le pouvoir nucléaire. Cette ère est désormais révolue. » 

Apocalypse en trois actes

A House of Dynamite : le captivant chaos de Kathryn Bigelow

Ce carton introductif donne le ton et résume la thématique centrale de A House of Dynamite : le monde est devenu la maison sur le point d’exploser du titre, où l’ordre global établi par la dissuasion nucléaire est un leurre et s’est transformé en danger mortel. Le scénario, écrit par Noah Oppenheim (Jackie, Zero Day et par ailleurs président de NBC News), est d’une simplicité terrifiante : un unique missile nucléaire balistique intercontinental, de provenance inconnue, a été tiré et se dirige tout droit vers les États-Unis. Le compte à rebours est cruellement intenable : une vingtaine de minutes avant l’impact ! Bigelow fait de cette courte période temporelle une expérience immersive en filmant l’action en quasi-temps réel. La force du long-métrage réside dans sa structure en trois segments à la Rashomon, qui répètent la même dynamique narrative, explorant ces 20 minutes décisives à travers différentes strates de commandement.

« Avec A House of Dynamite, Bigelow réussit le pari de créer un uppercut captivant et angoissant en forme de compte à rebours. »

Le premier segment infiltre la Situation Room et se concentre sur la capitaine Walker (Rebecca Ferguson, Dune, Mission : Impossible Fallout), qui supervise la crise et tente d’identifier la menace. Ferguson est impeccable, à la fois humaine et implacable dans la peau de cet officier qui doit rester concentré pour gérer cette situation tout en voulant prévenir sa famille (hé oui, les téléphones sont interdits dans la pièce). Le deuxième acte suit le commandement militaire, représenté par le Général Brady (Tracy Letts, Le Mans 66, The Big Short) du STRATCOM, qui milite pour une riposte immédiate et dissuasive. Ce segment pousse les enjeux géopolitiques, notamment avec le personnage du conseiller en sécurité Jake Baerington (Gabriel Basso, Juré n° 2, Super 8). Le troisième segment, enfin, nous place aux côtés du Président des États-Unis, joué par Idris Elba (qui prend du grade après avoir été Premier ministre britannique dans Heads of State). Le POTUS, qui doit prendre la décision ultime, est submergé par le stress. Le choix de la riposte repose sur ses épaules pendant ces 20 minutes, dans une approche qui rappelle Point Limite, l’immense et visionnaire chef d’œuvre de Sidney Lumet.

Chronique d’une superpuissance impuissante

A House of Dynamite : le captivant chaos de Kathryn Bigelow

Cette multiplication des points de vue ne vise pas à éclaircir les enjeux de cette attaque nucléaire, mais à rendre compte de la situation dans le premier segment, un point de vue plutôt humain. On y suit d’ailleurs aussi les militaires qui découvrent le missile. Le script monte d’un échelon dans le second segment, pour redescendre à un point de vue humain lorsqu’intervient le président des États-Unis. Car malgré le pouvoir dont il dispose, comment réagir lorsqu’on apprend que dans 20 minutes, des millions d’habitants vont mourir, que l’ennemi est inconnu, et que le reste de la planète, et les futures générations le jugeront sur la base de sa décision ?

Spécialiste dans l’art de capter des situations d’urgence, de créer du chaos contrôlé et de filmer des militaires sous pression, Kathryn Bigelow opte pour une mise en scène quasi-documentaire, aidée à la photo par Barry Ackroyd qui l’avait accompagné sur Detroit, mais qui avait aussi à son CV des films de Paul Greengrass et Ken Loach. Ce style visuel contraste très nettement avec le côté abstrait de la menace : un triangle sur un écran que tout le monde scrute pour découvrir où va tomber le missile. La partition musicale, composée par Volker Bertelmann – oscarisé pour À l’ouest, rien de nouveau – contribue, elle aussi, et grandement, à la tension. En multipliant les angles, Bigelow permet de comprendre les doutes, la panique, les actions de l’ensemble de la chaîne de décision d’une superpuissance impuissante sur le point de basculer dans l’horreur atomique. La cinéaste pousse son concept dans ses retranchements, en répétant par exemple une scène de visioconférence selon le point de vue de tous ses participants. Jamais une conversation Zoom n’aura été, sous sa direction, aussi cinématographique ! Avec A House of Dynamite, elle réussit le pari de créer un uppercut captivant et angoissant en forme de compte à rebours, qui nous rive à notre fauteuil.