À la poursuite de Ricky Baker : chasse au petit homme !
Enfin distribué en France, À la poursuite de Ricky Baker rappelle que Taïka Waititi (Thor : Ragnarok) excelle dans la comédie absurde et touchante.
Jusqu’à présent, la seule façon pour les spectateurs français d’appréhender l’univers de Taika Waititi, excentrique réalisateur néo-zélandais de Thor : Ragnarok (aisément le plus drôlatique des films du MCU), était de se jeter sur Netflix ou sur l’édition Blu-ray de Vampires en toute intimité, ou What we do in the shadows dans la langue de Peter Jackson. Un objet iconoclaste et brillant, à la fois satire des documentaires « en immersion », hommage à Spinal Tap et variation sophistiquée du mythe du vampire. Une réussite, qui permit sans aucun doute à Waititi d’arriver en pôle position sur la watchlist de Kevin Feige pour les aventures du dieu nordique.
Depuis la sortie du troisième Thor, aucun éditeur ne s’est pourtant intéressé à son premier succès en terre océanique, Boy, une comédie rétro et douce-amère et véritable carton local. Le film est encore inédit, au contraire de Hunt for the wilderpeople, un autre énorme succès en Nouvelle-Zélande, devenu À la poursuite de Ricky Baker en France : une comédie, là encore, tournée juste avant que Waititi s’envole pour l’Amérique. Une réussite qui se faisait attendre chez nous et prouve que le hipsterprovocateur possède un univers bien à lui, et un talent pour brosser des personnages inattendus et instantanément drôles et attachants.
Kiwi buddy movie
Si vous n’aimez pas à la vie à la campagne, il y a peu de chances que vous l’adoptiez grâce à Bella (Rima Te Wiata, vue dans Housebound) et Hector (Sam Neill, plus lui-même que jamais). Reclus dans les vertes et immenses prairies de la Nouvelle-Zélande, le couple adopte un beau jour le jeune Ricky Baker (Julian Dennison, une révélation revue depuis dans Deadpool 2), un enfant à problèmes d’origine Maori voyageant de foyer en foyer. Peu commode, l’adolescent a, c’est un euphémisme, du mal à s’adapter à cette nouvelle vie, mais sa carapace finit par s’éroder au contact de la chaleureuse Bella… qui malheureusement décède brutalement, laissant Ricky seul avec l’irritable et solitaire Hector. Quand les services sociaux décident de le récupérer pour le renvoyer à l’orphelinat, Ricky s’enfuit dans le bush local, déclenchant une chasse au petit homme disproportionnée et entraînant dans son aventure un Hector rompu à la vie sauvage, mais pas aux gestes paternels…
Sur un pitch qui pourrait vite verser dans le mielleux et les bons sentiments, À la poursuite de Ricky Baker dévoile vite des ingrédients qui l’élèvent au-dessus du tout-venant. Une science de l’absurde irrésistible, en premier lieu, qui permet de désamorcer la gravité de certains sujets abordés par le film (l’enfance sacrifiée, la mort d’un proche, l’héritage culturel éternellement malmené des Maori) et d’enquiller des péripéties à la fois touchantes et surréalistes, le duo formé par Ricky et « Hec’ » rencontrant dans son périple nombre de personnages doucement azimutés. Un casting parfaitement dirigé ensuite : l’alchimie entre le jeune Dennison et le vétéran Sam Neill s’avère inoubliable, tant la relation entre leurs personnages se révèle crédible et iconoclaste (le film est un festival de punchlines acides et incorrectes, à base notamment… de haïkus gangsta). Tout comme le personnage de Bella, qui berce le premier acte dans une douce mélancolie, À la poursuite de Ricky Baker cache sous des aspects familiers un cœur gros comme ça. Et une générosité qui s’exprime notamment derrière la caméra de Taika Waititi, qui n’a pas eu peur de lâcher la bride de sa mise en scène. S’il repose bien sur l’association de deux caractères opposés (un grand classique, donc), le film n’en est pas moins une aventure visuellement exaltante, qui tire logiquement profit de paysages naturels splendides – on n’est pas dans le pays du Seigneur des anneaux, qui a droit à une référence, pour rien – pour donner du relief à l’odyssée de Ricky et Hector, deux solitaires qui tentent de trouver dans l’adversité une façon commune de redonner un sens à leur vie. Simple, beau, hilarant : bref, aussi incontournable que le reste de la filmographie de l’ami Taïka.