Brisé : l’après-midi de chien de Boyega
La performance de John Boyega en vétéran poussé à un braquage désespéré est la principale qualité de cet honnête Brisé.
Il est pratiquement impossible au cinéma de braquer une banque avec un message politique derrière la tête sans qu’un critique n’écrive qu’il y a vu un film « dans la veine d’Un après-midi de chien ». C’est ainsi avec tous les classiques du 7e art : s’échapper de leur ombre est pratiquement une mission impossible. Et il faut l’admettre, le souvenir (lointain) d’Al Pacino transformant son hold-up en cri de ralliement pour tous les laissés-pour-compte de la société – américaine en particulier – se rappelle parfois à nous en découvrant Brisé, drame adapté d’une tragique histoire vraie qui marque les débuts derrière la caméra d’Abi Damaris Corbin. L’époque et les maux que tente de dénoncer ce long-métrage ne sont toutefois pas les mêmes, et le carcan de la réalité empêche parfois le résultat de décoller comme il le devrait.
Brisé retrace les événements qui ont suivi en 2017 la décision de Brian Brown-Easley (John Boyega), un ancien Marine revenu blessés de ses deux tours en Irak, de prendre deux employées d’une banque d’Atlanta en otage, en proclamant avoir une bombe artisanale sur lui. Père de famille divorcé, souffrant de syndrome post-traumatique, Brian ne parvient plus à sortir la tête de l’eau. Au bord de la clochardisation, il a une dent contre le bureau des Anciens Combattants et compte bien sur ce coup d’éclat pour faire entendre sa rage et son désespoir. Alors que la police déploie un nombre incalculable d’agents et de snipers, que la télé s’en mêle, Brian, entre deux accès de colère, s’engage dans une discussion tendue avec le négociateur Eli (le regretté Michael K. Williams, dans l’un de ses ultimes rôles). Eli est lui aussi un ex-Marine, mais il faudra plus que son empathie pour sortir Brian de cette impasse, dans laquelle il s’est jeté avec ses dernières forces…
Des vétérans dans l’impasse
Bien que le destin de Brian Brown-Easley soit de manière évidente le symbole déprimant des dérives d’une bureaucratie labyrinthique et d’un pays qui traite moins bien les soldats qu’elle a envoyé par milliers faire la guerre que ses propres ennemis, ce n’est pas paradoxalement pas son histoire qui marquera le plus les esprits dans Brisé. Parce qu’il s’inscrit, volontairement ou non, dans l’héritage d’un sous-genre qui a vu défiler bon nombre de scénarios du même type (un preneur d’otages, des victimes terrifiées et/ou compatissantes, un négociateur seul à vouloir trouver une solution pacifique au milieu d’une meute de flics pressés d’en découdre), le film de Corbin génère des attentes, en matière de suspense et de crescendo dramatique qu’il ne peut pleinement remplir.
« Brisé se devait d’être un drame triste, résigné comme la dernière flamme d’un brasier éteint. »
Et c’est après tout à son honneur : Brisé se devait d’être un drame triste, résigné comme la dernière flamme d’un brasier éteint. Brown-Easley y est présenté comme un type décent, honnête, idolâtrant sa fille, un patriote croyant pur jus qui a simplement percuté un mur et que personne n’a relevé. Son geste fou est un cri dans la nuit, une décision inéluctable. Et le film tire beaucoup des discussions entre lui et Eli, deux Afro-Américains que le scénario prend soin de présenter comme des underdogs ayant simplement suivi des chemins différents. Si le film, en dépit de sa lenteur, voire de manque de rythme, parvient à nous agripper, à nous émouvoir, c’est en partie grâce à la mise en scène assurée et précise de Corbin, mais aussi et surtout grâce à Boyega. Loin, si loin de Star Wars, le comédien britannique déploie une richesse de jeu qui force l’admiration. On jurerait par moments voir un jeune cousin de Denzel Washington, partageant ce même goût pour la transformation discrète et l’intensité brutale. Passant par toutes les émotions, convoyant beaucoup par sa gestuelle, ses postures, Boyega est pour beaucoup dans l’intérêt qu’on porte à Brisé. Tant mieux si sa performance aide à faire connaître le combat de Brian Brown-Easley, dont la famille continue de se battre, à ce jour, avec le bureau des anciens combattants pour obtenir réparation.