Caveat : un huis-clos étrange et énigmatique
Une bicoque abritant une femme pas nette et un lapin flippant : c’est l’équation surréaliste proposée par Caveat.
Conseil d’ami : si jamais vous vous retrouvez un jour à court de liquidités et aux abois : n’acceptez pas un petit boulot qui vous demande de travailler attaché à une chaîne fixée dans une cave, quelle que soit la paye. Si le héros de Caveat, premier long-métrage de l’Irlandais Damian McCarthy, avait simplement répondu non à cette proposition ubuesque, le film se serait terminé au bout de cinq minutes, non sans avoir eu le temps de happer son spectateur pas ses premières séquences terriblement étranges et malaisantes. Caveat, production à (très) petit budget primé du festival dématérialisé de Bruxelles, fait partie de ces films fantastiques aux parti-pris radicaux, qui troquent les dialogues surexplicatifs et les frissons bon marché contre une approche onirique, dépassionnée, presque psychanalytique du genre. Le film ressemble à un puzzle à assembler, alors il faudrait prévenir d’emblée : vous n’aurez jamais droit à la vision d’ensemble qui vous permettrait de le terminer.
La maison de la flippe
Dans Caveat (« mise en garde » en français), l’action se déroule quasi-intégralement dans une maison délabrée, isolée au milieu d’une petite île perdue dans le brouillard, dont les murs semblent avoir lessivés par plusieurs inondations. Un décor réduit à sa plus simple expression, mais travaillé et exploité dans ses moindres recoins : il faut reconnaître à McCarthy, qui s’est préparé pendant plusieurs années, une bonne maîtrise de l’espace, suffisante en tout cas pour nous perdre volontairement dans les couloirs défraîchis de la bicoque, dans laquelle débarque bon gré mal gré Isaac (Jonathan French), un vagabond amnésique chargé par un « ami » de veiller sur sa nièce, murée dans le silence et la dite maison depuis que son père est mort et sa mère disparue. La jeune femme est sujette à des accès psychotiques et a une peur bleue des hommes, aussi Isaac doit veiller sur elle enchaîné pour ne pas atteindre sa chambre (ou les WC…). Un job bizarre, donc, qui le devient encore plus à chaque minute : les tableaux de sa chambre semblent prendre vie, un secret horrible se cache dans la cave, la nièce est tantôt prostrée, tantôt armée d’une arbalète, et ce foutu lapin en peluche aux yeux globuleux tape tout seul sur son tambour comme pour l’avertir d’un danger imminent…
« Caveat finit par dénouer tous ces fils narratifs, en réduisant l’ensemble à une trame policière teintée de fantastique à la Hammer. »
S’il contourne intelligemment son manque de moyens en réduisant au maximum, comme tout bon film de genre, le nombre de personnages et de décors, et en travaillant sur la suggestion plutôt que sur les effets spéciaux démonstratifs, Caveat n’en est pas pour autant une série B un peu cheap. Sans afficher une maîtrise narrative étourdissante (le script malmène la temporalité, mais cela ne se justifie jamais vraiment, le troisième acte peine à boucler logiquement ou de manière satisfaisante tous ses arcs narratifs), McCarthy dévoile un univers labyrinthique, oblique, qu’il construit efficacement, avec trois fois rien, en clignant de l’œil à Lewis Carroll autant qu’à Sam Raimi et David Lynch. Il y a ce fameux lapin-mascotte, brandi tantôt comme un radar à fantômes, tantôt comme une simili-poupée poss édée, au pouvoir énigmatique infini. Il y a ces séquences stressantes où Isaac explore, au péril de ses mains le plus souvent, les recoins interdits de la baraque, dénichant très littéralement les cadavres dans le placard ou jouant au chat et à la souris avec une nièce au comportement indéchiffrable. Caveat finit par dénouer tous ces fils narratifs, en réduisant l’ensemble à une trame policière teintée de fantastique à la Hammer. Un revirement frustrant, presque contre-intuitif au regard de qui précède, même si, une fois encore, le film se garde bien d’ajouter toutes les cases manquantes à son étrange équation. Sa lenteur, son dénuement apparent, sa logique onirique plus que réaliste restent en mémoire, faisant de ce premier essai pas totalement abouti une curiosité prometteuse pour l’avenir de son réalisateur.