La délivrance est venue au crépuscule d’une soirée littéralement interminable, la plus longue de l’histoire des Césars : Timbuktu, le très beau, et essentiel film d’Abderrahmane Sissako, est sacré meilleur film, donnant l’occasion au réalisateur de monter pour la troisième fois sur la scène du Châtelet. C’est que malgré le suspense, l’affaire était, au fil des récompenses qui s’accumulaient, déjà entendue : qu’il bénéficie ou pas d’un hypothétique « effet 11 janvier », le film, co-production franco-mauritanienne, a en tout cas unifié tous les votants de l’Académie dans un même élan. Montage, son, musique, photographie, scénario (peut-être le César le moins mérité du lot, vu la concurrence), réalisation, film : en tout, 7 récompenses pour un film qui avait déjà remporté un beau succès à sa sortie, rentre définitivement dans les consciences. Au moins, il n’aurait plus de problème pour être programmé dans des villes « difficiles ».
Avant d’en arriver là, il aura fallu passer par une litanie de discours de remerciements particulièrement longs, cassant le rythme d’une cérémonie qui n’en avait déjà pas, malgré notre amour pour le bagoût surréaliste d’Edouard Baer. Il faut dire qu’ouvrir une soirée dédiée au cinéma avec l’arrivée d’un Dany Boon tellement confit dans sa supériorité qu’il en oubliait son premier métier (être drôle), n’était peut-être pas l’idée du siècle. Les Césars continuent d’entériner l’idée d’une vaste foire d’empoigne, où les petits règlements de compte se règlent en prime-time, avec des private jokes en pagaille dont tout le monde, le public en premier lieu, pourrait se passer.
Un combat remporté haut la main
C’est donc au prix d’une certaine résistance que nous avons pu également voir triompher l’épatant premier film de Thomas Cailley, Les Combattants, qui remporte 3 Césars : meilleur premier film (c’était attendu), meilleur espoir masculin pour Kevin Azaïs (attendu aussi) et, belle performance, meilleure actrice pour la jeune (25 ans) Adèle Haenel, qui coiffe au poteau Karin Viard ou Juliette Binoche, et remporte sa deuxième compression en autant d’éditions ! Voilà qui devrait convaincre une nouvelle audience de découvrir cette comédie romantique vraiment pas comme les autres.
[quote_center] »Le César de la meilleure adaptation remis à Diplomatie, dans une catégorie qui était par ailleurs presque impossible à prédire. »[/quote_center]
Avec dix prix pour deux films, pas besoin de le souligner : Yves Saint-Laurent et Saint-Laurent sont les grands perdants de la soirée, se partageant chacun une récompense (meilleur acteur pour Pierre Niney, qui succède à son pote Guillaume Gallienne ; meilleurs costumes pour le film de Bonnello), alors qu’ils cumulaient 16 nominations. Sils Maria est également un peu boudé, même si le César du meilleur second rôle féminin est revenu à l’Américaine Kristen Stewart, au sein d’une compétition assez ouverte. La star des Twilight (rendez-vous compte) est ainsi la première comédienne de son pays à remporter un César chez nous, ce qui n’est pas rien, vous en conviendrez.
Les surprises de la soirée
Quelques surprises émaillent par ailleurs ce palmarès, comme par exemple le César de la meilleure adaptation remis à Diplomatie, dans une catégorie qui était par ailleurs presque impossible à prédire. Dans la catégorie documentaire, c’est Le sel de la Terre, co-réalisé par Wim Wenders (malheureusement absent) qui a battu sur le fil le passionnant Caricaturistes, fantassins de la démocratie. Là aussi, une récompense aurait permis de mettre en avant à une période dramatique le courage de ces dessinateurs à travers le monde. Côté technique, un Thierry Flamand remonté a été récompensé pour les décors de La belle et la bête, ce qui n’a manqué de soulever un peu d’ironie (le film a été tourné à 90 % sur fond vert). Mais ce serait dénigrer le travail impressionnant de création visuelle mené par Flamand et Christophe Gans.
Enfin, au rayon des choix qui étaient entendus, la timide chanteuse Louane Emera a représenté à elle seule la team Famille Bélier (meilleur espoir féminin), l’excellent et magnétique Reda Kateb est monté sur scène pour Hippocrate (meilleur second rôle masculin) le formidable Minuscule a été sacré meilleur film d’animation (et une suite est en prévision !) et Xavier Dolan, lui aussi absent, ce qui ne l’a pas empêché de transmettre une lettre interminable de remerciements, a du être calmé par le César du meilleur film étranger décerné à Mommy. Restent les courts-métrages, que nous n’avons pas tous vus, mais les deux choix laissent par contre visiblement à désirer…
À l’année prochaine, donc, en espérant que quelqu’un se munisse enfin d’un chronomètre au Châtelet et que le réalisateur de la cérémonie, quel qu’il soit, se donne pour mission de donner du rythme aux Césars. Hey, on peut toujours rêver, non ? Après tout, il s’agit de cinéma…
Crédits photo : MaxPPP et Reuters