Chain Reactions : quand un film culte devient un prisme culturel

par | 22 décembre 2025

Chain Reactions : quand un film culte devient un prisme culturel

Cinq personnalités complémentaires dissèquent l’influence durable du classique Massacre à la tronçonneuse dans ce passionnant Chain Reactions.

À première vue, Chain Reactions pourrait n’être qu’un hommage de plus à un monument du cinéma d’horreur, en l’occurrence Massacre à la tronçonneuse, sorti en 1974. Mais le documentaire réalisé par Alexandre O. Philippe (qui s’était notamment déjà intéressé à Psychose, L’Exorciste et Alien) refuse d’emblée la facilité du simple panthéon nostalgique. Ici, il ne s’agit pas de réciter une litanie d’éloges adressées au film séminal de Tobe Hooper, mais d’interroger ce que ce film a provoqué, déplacé, fissuré aussi bien artistiquement que moralement et culturellement chez ses spectateurs. Le dispositif est volontairement épuré : cinq voix, cinq regards, cinq manières d’aborder une œuvre devenue matrice. Cette sobriété formelle permet de se concentrer sur l’essentiel : la résonance intime et collective d’un film qui continue à nourrir notre imaginaire 50 ans plus tard.

Ceci n’est pas qu’un film d’horreur

Chain Reactions : quand un film culte devient un prisme culturel

Stephen King, maître de l’horreur, humaine, porte sa réflexion sur un terrain fondamental. Il évoque l’élaboration du film, son inscription dans l’histoire du cinéma d’horreur, mais surtout la question de la moralité dans l’art. Pour lui Massacre à la tronçonneuse n’est pas un film gratuit ou cynique : il agit comme un révélateur, un miroir brutal d’une société déjà malade. L’horreur n’est pas un spectacle, mais sa conséquence. Une idée qui traverse discrètement tout le documentaire.

 À l’opposé apparent, mais en parfaite complémentarité, Patton Oswalt, humoriste dont la présence ici pourrait surprendre, livre une intervention d’une éloquence rare. Porté par une passion communicative, il établit des ponts entre le classique de Tobe Hooper et d’autres œuvres, d’autres récits, d’autres mythologies. Le spectateur retiendra notamment sa passion pour Nosferatu. Son discours éclaire la manière dont Massacre à la tronçonneuse dialogue avec la culture populaire, dépassant largement le cadre du cinéma d’horreur pour devenir une référence structurante.

« Chain Reactions explore avec intelligence l’impact sociétal et culturel de Massacre à la tronçonneuse. »

Le regard de Takashi Miike, maître incontesté de l’horreur japonaise, apporte une dimension plus introspective. Il explique comment ce film a influencé son propre travail, non pas par imitation, mais par contamination. Une influence souterraine à la limite de l’organique, qui se retrouve dans son rapport à la violence, à la transgression et à la liberté de ton. Miike rappelle que l’impact d’un film ne se mesure pas seulement à ce qu’il montre, mais à ce qu’il autorise. Son espoir que son travail créé à son tour une vocation similaire chez un autre réalisateur est émouvant.

Avec Alexandra Heller-Nicholas, critique de cinéma et historienne, le documentaire s’enrichit d’un point de vue à la fois personnel et socioculturel. Elle partage son expérience de jeune fille australienne, soulignant la manière dont Massacre à la tronçonneuse traverse les frontières et les générations. Son intervention met en lumière la réception du film hors du contexte américain et rappelle que son « pouvoir de dérangement » est universel.

La beauté rugueuse des cannibales redneck

Chain Reactions : quand un film culte devient un prisme culturel

Enfin, Karyn Kusama, réalisatrice du culte Jennifer’s Body et de The Invitation, apporte une réflexion essentielle sur le rôle de la beauté dans l’art. Elle interroge la contradiction apparente entre la laideur frontale du film et la puissance esthétique qui s’en dégage. Une beauté rugueuse et inconfortable qui ne cherche jamais à séduire, mais à marquer. Une idée qui résonne comme une clé de lecture de l’ensemble du documentaire.

 Au-delà d’être une lettre d’amour vibrante à un film inusable, Chain Reactions explore avec intelligence l’impact sociétal et culturel de Massacre à la tronçonneuse. Le documentaire montre comment cette plongée dans l’horreur rurale a cristallisé des angoisses collectives, parlé de classes sociales, de violence systémique et de désagrégation du rêve américain, souvent de manière plus lucide que bien des œuvres dites “engagées”.