Un film comme Demolition résume bien par son titre l’obsession qui parcourt la plupart des films du Canadien Jean-Marc Vallée. Ses récits, qui fouillent à travers des collages visuels et une bande-originale toujours très précise, l’intime de ses personnages, parlent presque tous de reconstruction. Et cette quête est une nouvelle fois au centre de Demolition, un drame aux accents étrangement comiques, tiré d’un scénario de Bryan Sipe apparu un temps dans la fameuse « Black List » des meilleurs scripts non tournés.
[quote_center] »La finesse des métaphores n’est pas ce qui caractérise Demolition. »[/quote_center]
Le héros malheureux de cette histoire est Davis Mitchell, un banquier tiré à quatre épingles et obsédé par son métier, qui perd un matin dans un accident de voiture sa femme, alors qu’il était dans le siège passager. Alors qu’il apprend à l’hôpital son décès, en compagnie de son beau-père (et également patron), il s’énerve de voir le distributeur automatique de confiseries refuser de lui donner son paquet de bonbons. Il décide alors d’écrire une lettre de réclamation à la société qui les fabrique, dans laquelle il confie cette prise de conscience douloureuse : il ne ressent rien pour sa femme disparue. Davis finit bientôt par se confier à des inconnus dans le métro, à s’immiscer dans la vie de Karen, qui a reçu ses lettres de réclamation, et surtout à déconstruire et démolir tout ce qui l’entoure. Davis a pris au pied de la lettre les conseils de son beau-père, qui est lui effondré de chagrin, et met patiemment sa vie en pièces, peut-être pour mieux… la reconstruire.
Un seul être vous manque…
On ne le rappellera sans doute jamais assez, mais Jake Gyllenhaal réalise ces dernières années une deuxième partie de carrière fabuleuse, grâce à une série de films qu’il porte sur ses épaules avec un aplomb, une intensité et un éventail de jeu à chaque fois renouvelé. Le rôle de Mitchell, ce trentenaire qui a semble-t-il une vie parfaite, mais qui n’en tire aucune véritable joie, demandait d’être proche d’un Patrick Bateman (American Psycho) : pas d’expression sur le visage, peu d’humanité dans la voix, un regard vague qui laisse supposer que les conventions sociales sont la seule chose qui permet à cette coquille vide de s’animer un peu. Gyllenhaal transmet parfaitement ces manques affectifs qui pourraient dans d’autres circonstances et avec un autre acteur créer un personnage trop déplaisant (il ignore notamment superbement les appels du pied émotionnels de son beau-père, incarné par un Chris Cooper qu’on voit rarement aussi à vif et désemparé à l’écran). Vallée se sert intelligemment de quelques artifices simples, mais efficaces – notamment des apparitions fantomatiques répétées de la femme de Mitchell – pour nous rappeler, sans trop en faire, qu’un vide s’est bel et bien créé dans la vie bien rangée de son héros. Sa coquille se fissure, et bientôt, c’est tout le mur porteur qui va être abattu.
Pas la peine de tourner autour du pot : la finesse des métaphores n’est pas ce qui caractérise Demolition. Lorsque Mitchell laisse échapper enfin des sentiments, c’est pour déconstruire l’horloge de beau-papa (objet de plusieurs gags discrètement hilarants), participer à la destruction d’une maison gratuitement ou louer un bulldozer pour démolir la sienne. Son auto-destruction mentale et affective est soulignée au marqueur par un script qui veut à tout prix jouer la carte du décalage absurde, même si les symptômes qui caractérisent le comportement de Mitchell (il quitte son boulot, pousse un gamin en manque de repères à lui tirer dessus, et se contrefout de sa propre santé physique) sont surtout ceux d’une dépression. L’atout du film est, pendant un temps, qu’on ne sait pas trop où le personnage de Gyllenhaal peut nous emmener : il se laisse porter par ses impulsions, son autisme social. Mais une fois que Demolition a abattu ses cartes, en misant sur une avalanche de rebondissements dignes d’un feuilleton télé et de passages gênants de niaiserie où Mitchell se trémousse dans la rue comme Peter Parker dans Spider-Man 3 ou construit un fort d’oreillers avec Karen (oooh), les choses sont plus claires, et Jean-Marc Vallée retombe sur des rails bien plus timides, et bien moins intéressants.
Reconstruction express
Le résultat ne témoigne toutefois pas d’une entreprise traitée par-dessus la jambe. Que l’on aime son style ou pas, la vision de Vallée est reconnaissable, et il est facile de traquer les échos de ses films précédents, de C.R.A.Z.Y. à Wild en passant par Dallas Buyers Club. De l’ado mal dans sa peau, mais très mélomane (un bon prétexte pour sélectionner encore une fois des morceaux pointus et détonants) au héros fracassé par le destin et en recherche éperdue d’une forme de catharsis (là une randonné interminable, ici des coups de massue libérateurs), en passant par les flashbacks traités comme des visions furtives et fragmentées, les parallèles sont faciles à tracer.
Les films de Vallée se caractérisent toutefois par des résolutions mi-douces, mi-amères, en se gardant toujours de trop enfoncer le bouton de la manipulation émotionnelle et de l’épilogue rassurant. Exactement le genre de facilité dans lequel Demolition finit par se complaire : la trajectoire personnelle de Davis Mitchell apparaît alors un peu trop calculée et invraisemblable pour nous convaincre et nous émouvoir. Peut-être qu’on a nous aussi besoin de taper bien fort dans un mur ?
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Demolition
De Jean-Marc Vallée
2015 / USA / 101 minutes
Avec Jake Gyllenhaal, Naomi Watts, Chris Cooper
Sortie le 6 avril 2016
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