Dual : l’attaque du clone
Karen Gillan lutte pour survivre à son double dans le déroutant Dual, dystopie satirique plus mélancolique qu’épique.
De Dostoïevski à Michael Bay en passant par Denis Villeneuve, la figure du double n’a cessé d’irriguer la fiction fantastique : logique, tant le vertige identitaire qui naît de l’opposition à une autre version de soi-même constitue un matériau narratif fascinant. Le doppelganger, cet étranger pourtant si semblable, que l’on doit aimer et craindre à la fois, est souvent de trop. C’est un intrus, un parasite, une menace existentielle puisque s’il nous est identique, pourquoi ne prendrait-il pas notre place ? C’est tout l’enjeu de Dual, troisième long-métrage de Riley Stearns après Faults et The Art of Self-defense, qui se déroule à une époque rétro-futuriste dans laquelle le clonage d’êtres humains est devenu courant et conseillé aux patients atteints d’une maladie incurable – un peu comme dans Swan Song sorti sur AppleTV+. Mais comme nous l’apprennent les premières minutes de Dual, de loin les plus violentes, il y a un prix à payer lorsqu’on rejette la fatalité de sa propre disparition.
Sarah (Karen Gillan, loin des Jumanji) va en faire l’amère expérience. Sans qu’elle comprenne trop pourquoi, elle apprend qu’elle va mourir d’une maladie « rare et incurable mais sans douleur ». Coincée dans une relation glaciale avec son petit ami toxique et peu intime avec sa mère, la jeune femme décide de se faire cloner pour éviter à ses proches la peine d’un décès précoce. « Le double de Sarah », créé en une heure (sic), fait donc irruption dans son quotidien, avide d’en savoir plus sur sa vie avant qu’elle disparaisse. Seulement, voilà : au bout de quelques interminables mois, le petit ami de Sarah l’a largué pour se mettre en couple avec son clone, moins apathique et dépressif qu’elle, sa mère préfère aussi son double et Sarah apprend, tout aussi inexplicablement, qu’elle est en rémission. Il y a désormais une Sarah en trop. Et comme le prologue avec Theo James (Divergente) l’a montré, quand un humain et son double coexistent, il faut organiser un duel à mort télévisé, sur un terrain de football (re-sic), pour savoir qui a le droit de continuer à vivre…
Il ne peut en rester qu’une
De cet argument très Black Mirror dans l’esprit (et qui aurait bien plu aussi à un Van Damme de l’époque Double Impact), Riley Stearns tire une dramédie dystopique qui déjoue nos attentes. Adepte d’un cinéma caustique qui ne dévoile jamais vraiment toutes ses cartes, le cinéaste adopte un ton glacial et distancié, à contrecourant de l’argument bis de son scénario, et se refuse à toute effusion sentimentale face aux enjeux de vie et de mort qui définissent son film. Cette approche est entièrement incarnée dans la prestation de Karen Gillan, dont la posture dégingandée, les grands yeux vides et le débit névrotique et robotisé façon Abed dans Community, mais sans l’humour, sont encore plus déstabilisants quand ils se retrouvent dédoublés.
« Sur un thème rebattu, le film emprunte son propre chemin sinueux, nous laissant au bout de la route avec nos frustrations et nos questionnements. »
Le fameux duel, d’autant plus attendu qu’un avant-goût nous en est donné en ouverture, s’avère aussi être un leurre. Les scènes d’entraînement de Sarah, qui s’adjoint les services d’un coach de combat (Aaron Paul, de loin le personnage le plus humain, malgré une scène bizarre avec son chien), sont moins l’occasion de montages musicaux à la Rocky qu’une distraction montrant Sarah retrouver une raison de vivre, alors qu’elle se prépare à occire une partie d’elle-même. Dual avance ainsi, entre fausses pistes et frustration calculée, saillies absurdes délicieuses et refus obstiné du réalisateur de s’épancher sur la psychologie de ses héros, jusqu’à un dénouement ô combien ambigu et inattendu. Sur un thème rebattu, le film emprunte son propre chemin sinueux, nous laissant au bout de la route avec nos frustrations et nos questionnements. À voir si cela vous énerve ou vous stimule – dans les deux cas, c’est sûrement voulu.