Huesera : des craquements dans la nuit
La grossesse d’une jeune femme dérape vers le drame angoissant dans l’intense Huesera, premier film d’une réalisatrice mexicaine.
Source d’immense bonheur comme d’intenses souffrances, la grossesse constitue surtout une matière narrative en or pour tout scénariste un tant soit peu sadique (et soyons clairs, quel scénariste ne l’est pas un peu ?). Cinquante ans après que la pauvre Rosemary ait donné non sans mal naissance au Diable et donné naissance après à elle une foule de protagonistes enceintes plus très contentes de l’être, l’idée de confronter des femmes dans une situation par définition plus fébrile, émotionnellement exacerbée, à une situation inattendue, irrationnelle ou menaçante, continue de faire recette. Remarqué dans de multiples festivals, Huesera est l’un des derniers rejetons de cette mouvance, un film de genre qui marie drame psychologique et visions d’horreur pour le moins dérangeantes, imaginé par la Mexicaine Michelle Garza Cervera.
La main (osseuse) sur le berceau
Raul (Alfonso Dosal) et Valeria (Natalia Soliàn) forment un couple épanoui et complice, qui accueille avec une joie non feinte l’annonce de la grossesse de Valeria. Une nouvelle qui fait le bonheur de ses parents, qui priaient pour que leur deuxième fille remplisse elle aussi sa mission de génitrice. Un avenir idéal, rapidement perturbé par les visions glaçantes qu’a la jeune femme de silhouettes désarticulées, aux os qui craquent et se suicident ou envahissent son appartement. Un cauchemar bien trop réaliste, qui la fait passer pour folle aux yeux de Raul. Valeria trouve un peu de réconfort en renouant avec Octavia (Mayra Batalla), une ancienne amante qu’elle avait abandonnée plus jeune, lorsqu’elle baignait dans la mouvance punk et se refusait à suivre l’ordre établi…
« Huesera ne perd jamais de vue de son héroïne, incarnée
avec une sensibilité de tous les instants par l’épatante Natalia Solián. »
L’ouverture admirablement maîtrisée de Huesera fonctionne comme une note d’intention du drame qui va suivre : Valeria monte, avec sa mère, les marches vers une immense statue de Vierge Marie, révélée dans un terrifiant travelling arrière. Une manière de concrétiser la pression sociale, religieuse, patriarcale et familiale qui pèse sur les épaules de la jeune femme. La maternité, surtout dans un pays catholique comme le Mexique, est un accomplissement autant qu’une injonction. C’est parce que la réalisatrice, s’inspirant de sa propre famille, dépeint avec acuité les relations de Valeria avec Raul et ses proches, que Huesera quitte les rivages de la bête série B angoissante, à base de spectres claudiquant dont le potentiel flippant est rehaussé par un sound design douloureusement réaliste. Les apparitions qui taraudent Valeria, dont on ne sait vraiment si elles sont la manifestation d’une possession démoniaque ou une conséquence psychosomatique de sa grossesse, passent alors au second plan à mesure qu’un inconfort plus réel, plus tangible, s’installe dans le cadre.
Maternité contrariée
Car Valeria, comme nous l’apprend un flash-back judicieusement placé, a un passé bien moins conformiste, loin des normes établies par ses parents ou sa sœur mère de deux horribles garnements. C’est ce passé, symbolisé par ses retrouvailles avec Octavia, qui revient frapper à sa porte et remettre en cause son désir de maternité — et possiblement de devenir femme au foyer, un statut symbolisé par la destruction méthodique de son atelier de menuisière au profit d’une chambre pour bébé immaculée. Ce conflit intérieur, qu’elle vit de manière douloureusement solitaire (malgré l’empathie toute relative de sa famille, des médecins, qui peut vraiment comprendre ce qu’elle traverse ?) se manifeste, film d’horreur oblige, de manière intense, dans une ambiance de body horror assumée mais jamais démonstrative. Mais Garza Cervera ne se laisse jamais rattraper, elle non plus, par les conventions du genre et son avalanche de jump scares. Huesera ne perd jamais de vue de son héroïne, incarnée avec une sensibilité de tous les instants par l’épatante Natalia Solián.
Le film, en prenant soin de ne jamais juger ses doutes et ses peines — alors que la société nous enseigne qu’en chaque femme sommeille un instinct de mère, le scénario déboulonne cette sorte de tabou sans tambour ni trompette —, rend son parcours émotionnel crédible, attachant, jusqu’à un final chamanique et graphique plus démonstratif. Un climax plus traditionnel qui marque moins les esprits que le dernier plan du film, dont la simplicité décuple l’impact.