I came by : le juge est coupable
Hugh Bonneville, star de Downton Abbey, joue les bourgeois pervers dans un thriller qui ménage des rebondissements culottés.
L’engagement politique des jeunes peut prendre de multiples formes, parfois inattendues. Pour l’électron libre Toby (George MacKay, loin de 1917) et son pote de toujours Jay (Percelle Ascott), protester contre les 1 % passe par des incursions clandestines et nocturnes dans les demeures et appartements des plus grosses fortunes de Londres. Ces graffeurs émérites laissent à chaque fois une trace géante de leur passage : un tag « I came by » (« je suis passé » en VF). Une performance d’activistes qui a fait d’eux des petites légendes urbaines. Mais quand Jay apprend qu’il va devenir papa, Toby se retrouve seul et quitte violemment le domicile de sa mère (Kelly MacDonald, qui a bien changé depuis Trainspotting). Désormais, une cible l’obsède : l’ancien juge Hector Blake (Hugh Bonneville, star de… Downton Abbey !), un bourgeois riche et veuf qu’il soupçonne de ne pas être aussi intègre qu’il le prétend. Toby a raison. Toby va également regretter d’avoir raison en pénétrant dans la demeure de Blake…
Entre pouvoir et perversion
Si à la vue de ce pitch, certains d’entre vous se remémorent l’efficace Don’t Breathe de Fede Alvarez, on ne vous en voudra pas. I came by, emballé par le prometteur Babak Anvari (l’excellent Under the shadow, le bizarre Wounds), diffère toutefois énormément de son cousin américain, déjà en termes de narration puisque l’action n’est pas concentrée sur une nuit, mais multiplie au contraire les ellipses. Surtout, le cinéaste a plus de choses en tête qu’un simple jeu du chat et de la souris dans une maison labyrinthique cachant de sordides secrets. Toby et Jay, issus d’une classe modeste, ne sont pas des intrus plus malins que la moyenne, mais des activistes en mission pour dénoncer l’impunité dont jouissent les puissants. Et de fait, Blake est la personnification la plus malaisante qui soit de ce mélange de pouvoir (monétaire, juridique, social) et de perversion (qui découle de son propre passé et se traduit par un sadisme très spécifiquement ciblé) qui corrompt la société sans jamais avoir à souffrir des conséquences. Comme dans tout bon film d’Hitchcock, la police est impuissante à régler les problèmes que soulèvent les malheureux civils. Et donc reléguée au rang de secondaire des exactions d’un méchant aussi glaçant que crédible, interprété avec un plaisir évident par un Hugh Bonneville heureux de faire tomber le masque du gentleman so british que les Anglais connaissent bien.
« Une approche en contretemps confère une certaine richesse à ce I Came By plus retors qu’il n’en a l’air. »
Sous influence, Anvari n’en demeure pas moins ambitieux, la construction en forme de passage de relais successif du scénario étant sa plus évidente force. Nulle envie de spoiler ici les surprises qui vous attendent dans I Came By, leur efficacité étant naturellement renforcée par des effets de montage ingénieux et désarmant. Chaque personnage du film a droit à un éclairage approfondi, même si en retour, cela génère inévitablement des chutes régulières de rythme et une approche plutôt indolente du genre du thriller. Blake est un antagoniste si puissant, au pouvoir de nuisance si évident, qu’il devient presque anormal pour le spectateur que la course contre la montre pour l’empêcher de nuire ne devienne pas plus vitale, plus immédiate. Cette approche en contretemps, qui prend le temps d’investiguer la peine de ses héros et leur réelle difficulté à contrecarrer le juge psychopathe, voire leur impuissance, confère une certaine richesse à ce I Came By plus retors qu’il n’en a l’air. Si l’on passe outre son rythme en dents de scie et une conclusion en forme de pirouette un peu trop attendue, le contrat est plutôt bien rempli pour une production Netflix arrivée sans bruit sur la plateforme.