Le réalisateur/dessinateur surdoué Riad Sattouf revient après le succès des Beaux Gosses avec un tout nouveau film qui ne risque pas de faire l’unanimité. Mal vendu par une affiche d’une laideur assez rédhibitoire, Jacky au Royaume des filles en a découragé plus d’un. Là où les Beaux Gosses se démarquait par son détachement et sa finesse de trait, Jacky au Royaume des filles cultive lui la satire jusquauboutiste, ce qui le rend d’autant plus unique et appréciable. L’histoire se déroule dans un monde imaginaire, dirigé par les femmes, où Riad Sattouf suit l’aventure de son gentil Candide, interprété par Vincent Lacoste, moins boutonneux mais tout aussi ahuri que dans le précédent film du papa de Pascal Brutal.
Renversement des valeurs
Bienvenue à Bubune, dans cette contrée où les femmes dirigent toutes les strates du pouvoir, de la politique à la justice en passant le foyer. Elles demandent en mariage un ou plusieurs hommes, chargés de les satisfaire sexuellement et domestiquement. Lors du grand bal de la Bubunnerie, la Générale Bubune XVI (forcément) convie tous les célibataires du pays à rencontrer sa colonelle de fille afin qu’elle choisisse son Grand Couillon qui lui fera de nombreuses petites filles. Le jeune Jacky rêve de tenter sa chance et d’épouser la colonelle dont il est amoureux.
[quote_right] »Jacky au Royaume des filles ne craint ni de choquer ni de ne pas faire rire. Intransigeant et rempli de colère, le film ne ménage personne, bien au contraire. »[/quote_right]Une fois passé le choc de la vision d’une colonie de « mâles », entortillés dans une burqa qui en tait le nom, se comportant comme un clone de Samantha Stevens dans une sorte de bidonville syrien, le spectateur comprend que Sattouf a tout simplement renversé les valeurs patriarcales attribuées à une dictature militaire imaginaire, pour en souligner la cruelle absurdité. Dirigé par une Générale en âge avancé mais à la gâchette facile, qui, à la manière d’un Kim Jong-il souhaite donner le pouvoir à sa très stoïque enfante, le pays semble refermé sur lui-même (la Corée du Nord vient d’ailleurs immédiatement à l’esprit). Le petit peuple a droit à sa ration quotidienne de « bouillie » qui sort du robinet et qui rappelle la cuisine douteuse imaginée dans une autre bande-dessinée française de sciences-fiction, le Transperceneige. Les femmes assoient en permanence leur domination sur les hommes à coups de remontrances et d’allusions gênantes. Parfois polygames, elles font preuve d’une perversion toute berlusconienne.
Un rire jaune au rendez-vous
Le contraste sidérant peut prêter à sourire, en particulier grâce aux pitreries de Didier Bourdon, qui assure plutôt bien la partie comique du film dans un rôle de desperate menwife qui rappelle un peu La vie de Brian. Mais au fil des minutes, Sattouf montre une préférence marquée pour le côté voltairien de son histoire. La satire, sous couvert de langage déguisé (une « novlangue » a été inventée spécialement pour l’occasion) et de mises en abîme, s’aiguise. Très vite, les « souffrances » infligées aux hommes deviennent plus sérieuses, plus évocatrices. Mariages forcés, viols en réunion, violence et promotion canapé viennent égrainer cette « comédie » qui n’a finalement rien d’une gaudriole simpliste. Et Sattouf ne s’arrête pas en si bon chemin. Il poursuit avec malice son combat contre l’obscurantisme avec un message d’espoir à la fois couillu (sic) et inattendu, qui en laissera plus d’un pantois .
À l’heure où la frange extrémiste donne de la voix dans notre pays, l’égalité des sexes et des genres ne semble pas encore gagnée, malgré les lois et l’évolution de notre société. Bien qu’adepte du style, Sacha Baron Cohen ne figure visiblement parmi les sources d’inspiration du scénario. Jacky au Royaume des filles ne craint ni de choquer ni de faire rire. Intransigeant et rempli de colère, le film ne ménage personne, bien au contraire. Il apporte un vent d’air frais et pur dans une ambiance actuelle parfois nauséabonde. Le seul tort du scénario est de faire croire, naïvement et un peu maladroitement, que les femmes ne feraient pas mieux que les hommes dans la même situation de domination.
Imperfections au masculin
Comme dans les Beaux Gosses, Sattouf peint particulièrement bien ses jeunes personnages, dont il reprend les langages et les codes complétés par une touche de Hara-Kiri, au risque d’en dérouter certains. Les vannes tombent parfois à plat et le film peine tout de même à trouver son rythme au début. Le scénario, non content de créer de toutes pièces une nation, avec sa monnaie, sa langue, sa religion et ses lois, a parfois tendance à se répéter. Les décors, en particulier le palais, restent visuellement très sophistiqués, le cinéaste ayant planté ses caméras au milieu des bâtiments communistes de Géorgie.
Le casting secondaire semble prendre un malin plaisir à alimenter le délire ambiant. Après les très sérieux Antichrist et Nymphomaniac I et II de Lars Von Trier, Charlotte Gainsbourg s’adonne au registre comique. Durant la deuxième partie du film, elle parvient à casser son image de colonelle distante en costume nazi, dévoilant un ton et un jeu radicalement différents. Anémone féminise un dictateur ridicule avec un surjeu propice à la satire. Quoi qu’imparfait, Jacky au Royaume des filles possède ce dont une grande partie du cinéma français manque cruellement : de l’audace, de la créativité, et un propos qui ne cherche pas à tout prix à plaire à tout le monde.
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Jacky au Royaume des filles
De Riad Sattouf
2014 / France / 90 minutes
Avec Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg, Didier Bourdon
Sortie le 29 janvier 2014
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