Jung-E : allô maman robot
Le réalisateur de Dernier train pour Busan déçoit encore avec ce Jung-E aux designs rutilants, mais désincarné et peu palpitant.
C’est à se demander si les productions Netflix réussissent vraiment à Yeon Sang-ho. Le petit prodige de l’animation coréenne, qui avait impressionné son monde avec une trilogie officieuse noire comme la fin du monde (The King of Pigs, The Fake, Seoul Station) avant de réussir avec brio le passage au film live avec Dernier train pour Busan, s’est par la suite pris les pieds dans le tapis avec le très bancal Psychokinesis sur Netflix. La série télé Hellbound dont il est à l’origine a un peu rectifié le tir, avant que débarque donc ce Jung-E futuriste, incursion logique du metteur en scène dans l’univers de la science-fiction post-apocalyptique, sous forte influence des blockbusters américains. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat pâtit des comparaisons avec les meilleurs représentants du genre.
L’androïde était presque parfait
La laborieuse introduction, qui nous décrit un futur où le réchauffement climatique a rendu la Terre inhabitable, forçant l’humanité à s’exiler dans des stations spatiales qui se déclenchent des guerres mutuelles, est à l’image du film lui-même : elle déploie beaucoup d’efforts pour peu de résultats à l’écran. Jung-E démarre pourtant au quart de tour avec une scène d’action dans laquelle l’héroïne de guerre Jungyi démastique des robots en virevoltant comme dans un jeu vidéo. C’est irréaliste et pour cause, Jungyi, dans le coma depuis 25 ans, est en fait dans une simulation et son cerveau a été répliqué pour fabriquer en série un androïde guerrier encore perfectible. L’univers bâti par Sang-ho autour de ce concept est nébuleux et peu nous importe : excepté quelques plans généraux survolant en CGI cette Terre inondée et appauvrie où subsiste une humanité pouvant transférer sa matière grise dans des robots plus humains que jamais, Jung-E reste cloîtré entre les quatre murs d’un complexe scientifico-industriel sans personnalité. Le jeune et irritant chef du projet et l’impassible scientifique qui pilote les tests de l’androïde (qui est aussi… la fille devenue adulte de la soldate d’élite) s’affrontent de plus en plus ouvertement pour déterminer le sort de Jungyi.
« Jung-E reste cloîtré entre les quatre murs
d’un complexe scientifico-industriel sans personnalité. »
Si Jung-E peine tant à convaincre sur sa (courte) durée, en dehors de l’effet très lisse, voire caoutchouteux de ses effets spéciaux – le design rutilant des robots est pourtant son point fort -, c’est parce qu’il croule sous des influences qui le desservent à chaque recoin de dialogue, de plan ou de rebondissement. De Terminator à I, Robot en passant par Alita Battle Angel, Robocop, Matrix ou même Elysium, le film s’abreuve à des sources tellement reconnaissables et mille fois pillées qu’il se vide rapidement de sa personnalité. La patte de Sang-ho est reconnaissable dans certains dialogues subversifs critiquant le capitalisme à tout crin de cette société marchandant la vie éternelle, l’hubris des puissants dupliquant leur propre cerveau par pur caprice… Des notions vite survolées par un script bancal, noyées dans une direction artistique désincarnée, desservies par une interprétation piteuse (l’actrice primée à Venise Kang Soo-yeon, décédée après le tournage, est malheureusement catastrophique en scientifique hébétée et revêche)… Jung-E s’excite pour de bon dans un double climax bondissant et véloce, dont la spatialisation originale rachète le côté hasardeux et cartoonesque des VFX, qui nous rappelle au mauvais souvenir de Peninsula. Bref, pas de quoi pavoiser pour Sang-ho, que l’on voit mal en rester là, néanmoins, vu son rythme actuel de production.