La Fracture : parano à l’hosto
Quand le réalisateur de The Machinist s’essaie au film à twist, cela donne La Fracture, thriller schizophrène à la fois habile et prévisible avec Sam Worthington.
Parfois, avoir une belle petite famille ne suffit pas. Demandez à Ray Monroe (Sam Worthington), le héros de La Fracture. Sur la route hivernale qui doit le mener chez ses beaux-parents pour les fêtes, Ray s’engueule avec sa femme Joanne (Lily Rabe), alors que sur la banquette arrière, indifférente, leur petite fille Peri écoute sa musique. Ray ne fait-il pas assez d’efforts ? A-t-il succombé à nouveau à ce qu’on soupçonne être un alcoolisme tenace ? En tout cas, Joanne ne croit plus à leur couple, et le voyage s’annonce mouvementé. Lors d’un arrêt à une station-service, Ray quitte des yeux une seconde de trop sa fille, menacée par un chien errant. Peri fait une chute, se casse le bras, et c’est la panique. Direction l’hôpital le plus proche, ou l’enfant est pris en charge par le médecin de garde. Des heures plus tard, Ray émerge d’une sieste dans le hall d’accueil : où sont sa femme et sa fille, censées être parties faire un scanner ? Est-il fou, ou victime d’un complot ?
Tous les doutes sont permis
Ceux qui ont suivi le parcours du cinéaste (et récemment plutôt téléaste) Brad Anderson ne seront pas surpris de le retrouver à la réalisation de La Fracture. S’appuyant sur un scénario allant droit à l’essentiel d’Alan McElroy (Détour mortel), Anderson est libre d’explorer à nouveau l’un des thèmes qui parcourent sa filmographie : la paranoïa et les troubles mentaux. De Session 9 à Hysteria en passant par son coup d’éclat The Machinist, la carrière d’Anderson est constellée d’histoires reposant sur la psyché troublée (ou pas) de ses héros, et de leur rapport à un environnement extérieur menaçant. Ray Monroe en est un beau représentant. Il faudrait être aveugle pour ne pas repérer, et même cataloguer, les indices qu’Anderson dissémine tel un petit Poucet pendant la première demi-heure de La Fracture. L’issue ne devrait faire aucun doute, et pourtant la force du film réside dans sa capacité à nous faire prendre fait et cause pour Ray, type faillible et déboussolé, dont on perçoit petit à petit la gravité des traumas qui l’assaillent, et en font un « narrateur » défaillant.
« La Fracture ne lésine pas sur les figures de style pour booster une histoire filant sans temps mort vers une révélation finale aussi macabre que logique. »
La façon qu’a le long-métrage de trouver son équilibre entre intrigue à twist et suspense complotiste à la Morts suspectes, tient pour beaucoup à la réalisation inspirée d’Anderson. Contre-plongées totales, jeux sur la mise au point et les reflets, recadrages révélateurs, partition hermanienne : La Fracture ne lésine pas sur les figures de style pour booster une histoire filant sans temps mort vers une révélation finale aussi macabre que logique. Présent pratiquement dans chaque plan, Sam Worthington trouve là un terrain de jeu bien plus stimulant que dans le triste Titan. L’acteur australien arbore dans cet hôpital où il perd la raison de nouvelles subtilités de jeu, nécessaires pour illustrer le tumulte mental dans lequel son personnage évolue. Pour lui, et pour la mise en scène racée de son géniteur, on pardonnera à La Fracture son côté étonnamment prévisible et l’impression inévitable de déjà-vu qui plane constamment dans l’air.