La séance de rattrapage : Otages à Entebbe

par | 10 octobre 2018

L’histoire du détournement du vol Air France en 1976 est relatée dans Otages à Entebbe par José Padilha, avec un manque étonnant de nervosité.

Les films coup de poing, José Padilha connaît. Le réalisateur brésilien passé du côté d’Hollywood s’est bâti une réputation internationale en 2007 avec Troupes d’élite, thriller militariste sur l’enfer des favelas et énorme succès local, gratifié d’une suite trois ans plus tard. Après un remake de Robocop  reçu fraîchement, Padilha a rebondi avec l’haletante Narcos, série Netflix dont l’éclatement des points de vue annonçait en partie ce nouveau projet qu’est Otages à Entebbe. Se basant sur un script de Gregory Burke (71’), le cinéaste s’attaque là encore à une histoire vraie, connue de tous en Israël : le détournement en 1976 d’un vol Air France par des terroristes palestiniens, qui comptait plus de 250 passagers à bord dont une bonne partie d’Israéliens. L’avion avait atterri à l’aéroport Entebbe, en Ouganda, à l’époque sous la coupe du dictateur Amin Dada, où les passagers avaient attendu 7 jours avant que le gouvernement de Jérusalem, qui ne négociait pas avec les terroristes, ne lance un assaut militaire à 4 000 km de ses frontières. Celui-ci entrera dans l’Histoire après le sauvetage de – pratiquement – tous les otages.

Ce que Otages à Entebbe veut mettre en lumière, ce sont à la fois les motivations des preneurs d’otages, parmi lesquels se trouvaient deux Allemands d’extrême gauche, Wilfrid et Brigitte (joués par Daniel Brühl et Rosamund Pike) et les tergiversations du gouvernement dirigé par Yitzhak Rabin (Lior Ashkenazi) et son ministre de la Défense Shimon Peres (Eddie Marsan). Un film choral donc, mais qui étonnamment tire peu partie des différents angles apportés par ce choix narratif, et dilue sa tension par des digressions peu concluantes.

Les coulisses de l’Histoire

Le film s’ouvre en effet sur les images d’un ballet de danse contemporaine à la rythmique martiale. Une chorégraphie saisissante, que Padilha a choisi d’utiliser comme une sorte de chœur antique, et qu’il intégrera même à la narration en faisant de l’une des danseuses la petite amie d’un soldat Israélien décisif dans le raid final. L’apport au film de cette sous-intrigue arbitraire et en partie fictive reste nébuleux, et handicapera même le climax d’Otages à Entebbe, celui où se dénouent en quelques secondes, et sous les balles, tous les fils démêlés en amont. C’est que, malgré nos réticences de spectateurs, nous nous attachons pourtant un peu au couple de preneurs d’otage joué avec métier par Brühl et Pike – qui s’est mise à l’Allemand pour les besoins du rôle.

Le film revient en flash-back sur leur activisme dans leur pays natal, et les raisons qui les ont poussées à prendre, pour de bon, les armes, aux côtés de Palestiniens opprimés. Ces mêmes, qui doutent de leur engagement, leur demandent une fois au pied du mur : « Que faites-vous ici ? Je tuerai pour avoir votre vie ». Wilfrid, lui, se rend compte un peu tard de l’impact néfaste que pourra avoir l’image de terroristes allemands pointant des armes sur des juifs sans défense, tandis que Brigitte, au fil des jours, se fait de plus en plus fataliste. Otage à Entebbe ne leur donne pas de circonstances atténuantes, mais prend le temps de démontrer leur aveuglement idéologique, là où, à des milliers de kilomètres d’eux, les leaders politiques d’Israël s’opposent sur la méthode à adopter. Prendre les armes, encore et encore, ou initier une paix fragile ? Avec le recul, nous savons déjà que ce dilemme, au cœur de la pensée politique du pays, n’est quarante ans après toujours pas résolu…

Un raid en musique

Dans ces scènes de coulisses politiciennes, Marsan et Ashkenazi se montrent particulièrement captivants. Cette partie du scénario pourrait presque se révéler être la plus intéressante, tant la reconstitution, pourtant coûteuse, de la prise d’otages elle-même, déçoit par ailleurs. Elliptique, schématique, dénuée d’une véritable tension, cette semaine de détention dans un terminal d’aéroport déserté souffre paradoxalement de réelles longueurs, et échoue à nous faire ressentir la peur qui pouvait saisir les passagers (dont certains y laissèrent la vie), coincés à l’autre bout du monde à la merci de leurs geôliers. Et quand l’action s’accélère enfin, inéluctablement, Padilha choisit donc de tenter le tout pour le tout en alternant les images de l’assaut… avec celles d’un spectacle de danse. Pourquoi, comment ? Le réalisateur avait-il décidé que les précédentes reconstitutions de l’assaut, toutes sorties en 1976 (notamment Raid sur Entebbe de Kershner et Opération Thunderbolt de Mehanem Golan) en avaient fait assez sur ce terrain-là ? Toujours est-il que ce dernier acte trahit plutôt une pulsion d’égocentrisme créatif que d’un instinct redoutable de metteur en scène.

Les quelques bonus disponibles dans l’édition vidéo du film ne font malheureusement rien pour justifier avec clarté ces décisions artistiques. Une courte featurette promotionnelle nous apprend juste que Padilha a eu un coup de cœur en découvrant le travail de la compagnie de danse Batsheva (on peut le comprendre), et qu’il a décidé d’utiliser leur spectacle comme une métaphore… de quoi ? On vous invite à y réfléchir, de notre côté, l’incompréhension demeure.