Le Passager n°4 : dilemme spatial
Avec son équipage d’astronautes est perturbé par un passager clandestin, Le Passager n°4 instaure un huis-clos moral qui sort des sentiers battus.
En matière de voyage dans l’espace, sur Netflix, nous restions sur deux expériences ô combien différentes : celle du space opera survolté Space Sweepers et de la lénifiante apocalypse de Minuit dans l’univers. Acheté par la plateforme peu de temps après son tournage, Le Passager n°4 explore encore une autre voie, tracée par le musicien devenu réalisateur Joe Penna. Auteur il y a trois ans d’un survival polaire porté par Mads Mikkelsen, Arctic, Penna continue avec cette production germano-américaine d’exploiter la veine de l’odyssée en milieu hostile. Cette fois, c’est dans l’espace intersidéral, dans un voyage entre la Terre et Mars, que se déroule son histoire.
Dans un futur pas si lointain, dans lequel une société privée, Hyperion, a établi des premières colonies sur Mars, un équipage décolle pour la planète rouge, avec à son bord la commandante Marina Barnett (Toni Collette), la docteure Zoe Levanson (Anna Kendrick) et le biologiste David Kim (Daniel Dae Kim). Un équipage restreint et soudé, dédié à ses missions respectives, mais dont l’équilibre est rapidement perturbé par la découverte, dans une gaine technique, d’un passager clandestin, Michael (Shamier Anderson), un ingénieur qui a perdu connaissance quelques minutes avant le décollage. Les trois astronautes doivent composer avec cette arrivée imprévue, ce qui fonctionne bien dans un premier temps, avant que les conséquences plus graves ne se manifestent : selon les calculs de leur base terrestre, ils n’ont plus assez d’oxygène pour espérer atterrir sur Mars tous les quatre en vie…
Un inconnu dans la station
Démarrant pied au plancher avec la mise en orbite de ses personnages (pour l’anecdote, le film est sorti en France au moment même où le brave Thomas Pesquet décollait lui-même pour l’espace, dans des conditions visuellement bien moins confortables), Le Passager n°4 n’est pourtant pas une expérience spectaculaire, ce qui va forcément frustrer une partie de son audience avide d’action – même l’apesanteur est oublié à bord au profit d’une « gravité artificielle ». Le film de Penna, plus qu’un survival à perdre haleine, est avant tout un huis-clos moral, qui pourrait être théâtral si son décor n’était pas si étendu et labyrinthique. Ce qui est mis en scène ici, c’est le dilemme posé à des esprits scientifiques (un officier astronaute voyant ce voyage vers Mars comme l’apogée de sa carrière, un biologiste ayant consacré plusieurs années de sa vie à préparer ses expériences martiennes) face à une variante insurmontable, un « intrus » pas totalement départi du bagage technique dont ils sont les représentants les plus prestigieux, mais qui n’en reste pas moins un élément étranger. Michael est « juste » un ingénieur fan du travail de David, et le fait qu’il soit noir ne peut qu’amener à filer la métaphore du migrant accueilli avec autant de bienveillance que de résignation. Quand l’équipage se retrouver au pied du mur, le réflexe de David et Marina sera d’en faire, automatiquement, l’élément sacrifiable : Le Passager n°4 dévoile à cet instant sa ligne de fracture, le côté idéaliste et humaniste étant revendiqué par une femme médecin, Zoe, qui refuse d’adopter cette posture froidement pragmatique.
« Les idées de mise en scène font oublier le traitement un peu trop schématique des personnages. »
Film d’idées plus que de péripéties (le mystère entourant la présence et les intentions possibles de Michael est évacué sans plus de sensationnalisme), pas dénué de longueurs, Le Passager n°4 table sur la rigueur de sa mise en scène et de son dispositif narratif (pas d’interventions extérieures, pas de twist sorti de nulle part, pas d’interprétation emphatique) pour emporter le morceau, l’action ne quittant l’habitacle de la station spatiale que dans sa dernière ligne droite, quand il s’agit de tenter le tout pour le tout pour gagner, littéralement, un peu d’air, et que les termes de l’équation changent en profondeur. Les idées de mise en scène de Penna se déploient avec plus d’élégance, et font oublier le traitement un peu trop schématique, unidimensionnel et rigide, de ses personnages, notamment une Toni Collette totalement sous-exploitée. Nous éviterons enfin d’en dire trop sur le final de ce Passager n°4, dont l’épure dramatique témoigne surtout d’une certaine facilité, même s’il reste dans la même lignée, évasive et ouverte, que celui d’Arctic.