Men of Honor : ma vie dans les tranchées
En cette année de commémoration de l’armistice de 1918, Men of Honor tombe à point nommé pour rappeler, sur un mode feutré, l’enfer morbide que constitua la guerre dans les tranchées.
C’est avec un certain sens du timing qu’arrive dans les rayons vidéo l’édition française « spécial Centenaire » de Men of Honor, alias Journey’s End en version originale. Ce film de guerre britannique, sélectionné au dernier festival de Dinard, nous plonge un siècle tout juste après les faits dans l’enfer de la Première Guerre Mondiale, et plus précisément sa dernière année de combat qu’est 1918. Un semestre à peine avant la signature de l’Armistice, la guerre faisait encore rage sur le front, et les généraux continuaient d’envoyer à la mort des milliers de soldats fatigués et traumatisés par la vie dans les tranchées. C’est dans ce dédale boueux et semi-souterrain qu’atterrit le tout jeune lieutenant Raleigh (Asa Butterfield, toujours aussi poupon depuis Hugo Cabret), qui a tenu à être intégré dans une garnison particulièrement exposée, commandée par son ami d’enfance le capitaine Stanhope (Sam Claflin, The Riot Club).
Après trois ans de conflit, celui-ci n’est plus que l’ombre de lui-même. Alcoolique, colérique et pour tout dire désespéré, Stanhope ne peut s’appuyer que sur l’amitié indéfectible de son second, le lieutenant Osborne (Paul Bettany, Avengers : Infinity War), un homme de lettres courageux et toujours égal à lui-même, le rustre sous-lieutenant Trotter (Stephen Graham, La Taupe) et l’aide camp et cuisinier en chef Mason (Toby Jones, Berberian Sound Studio). La compagnie compte les jours qui les séparent d’un assaut massif des troupes allemandes, qui ont prévu de percer les lignes alliées dans une ultime offensive. L’ordre a été donné de tenir la position, quoiqu’il en coûte…
Survivre et laisser mourir
Même si l’on était pas au courant de la réputation du texte d’origine, il est clair en découvrant Men of Honor, moins un film de guerre pétaradant qu’une méditation feutrée sur l’inéluctabilité de la mort, que nous avons affaire à l’adaptation d’une pièce de théâtre. Décor unique (l’action s’installe au bout de quelques minutes dans les tranchées et le « mess » des officiers), nombre de personnages limité, action inscrite dans le temps avec un compte à rebours terrible : « Journey’s End », écrit dans les années 20 par l’ancien soldat anglais R.C. Sherriff, est, de fait, à la fois une pièce et un roman devenu incontournable dans la littérature britannique. Adapté au cinéma en 1930, en téléfilm et d’innombrables fois sur les planches, le texte se voit ici retravaillé et condensé par le scénariste Simon Reade et le réalisateur Saul Dibb (The Duchess). Celui-ci, malgré les coutures voyantes d’un script qui privilégie l’étude de caractère et le situationnisme aux scènes d’action, soit brèves et chaotiques, soit hors-champ, se refuse à illustrer platement les échanges entre Stanhope, Raleigh et tous les officiers. Il tire parti d’un décor claustrophobique à souhait pour isoler ses protagonistes dans le cadre, ou au contraire les regrouper, les « unifier » dans le cocon protecteur du mess lorsqu’ils mettent de côté leurs noires pensées pour s’intéresser aux choses les plus triviales (le menu du soir, une dérisoire lettre à envoyer à la famille).
De la même manière que Les sentiers de la gloire, Men of Honor dénonce l’aveuglement meurtrier des chefs de guerre français et britanniques : pressés d’obtenir des résultats, ces derniers multiplient les ordres de missions suicide, d’assauts sans espoir et de promesses futiles de médailles post-portem. L’injustice se rajoute à la peur qui tenaille ces hommes, prêts à surmonter leurs différences pour s’entraider face à un sort funeste, une mort invisible ou tombée du ciel qui semble les attendre au premier pas hors de leurs tranchées. S’il accuse le poids d’un rythme parfois défaillant et donne, malgré le réalisme des décors reconstitués au pays de Galles, l’impression d’être statique, Men of Honor conserve sa puissance émotionnelle, face à une histoire aux thèmes universels, qui révolte et bouleverse dans le même élan. Cent ans après, cette réadaptation permet de jeter un regard toujours d’actualité sur une Guerre pas si éloignée dans sa futilité de certains conflits contemporains.