Mortal : des super-pouvoirs sur courant alternatif
Quand un Américain se découvre des pouvoirs dévastateurs en Scandinavie, ça donne Mortal, aventure nordique avec beaucoup d’étincelles et peu de coups de tonnerre.
Révélé en 2011 par l’astucieux Troll Hunter, le cinéaste André Øvredal a fait fructifier sa nouvelle popularité en s’offrant une suite de carrière américaine constituée de deux longs-métrages, The Jane Doe Identity et Scary Stories. Soit un exercice de style morbide lorgnant sur le cinéma de James Wan et l’univers de Stephen King, et une sorte de film à sketches rétro parrainé par Guillermo del Toro. Des oeuvres sous influence, qui ont toutefois confirmé le goût du réalisateur norvégien pour un fantastique baigné dans la mythologie, le « lore » comme disent les Anglo-saxons. De mythes, il en est fortement question dans Mortal, production à cheval entre deux continents qui marque le retour d’Øvredal dans son pays natal.
Les mythes scandinaves, plus spécifiquement, qui planent au-dessus de la destinée d’Eric (Nat Wolff, Death Note, Crime de guerre), un jeune américano-norvégien qui a fui les autorités après son arrivée sur la terre de ses ancêtres. Eric est soupçonné d’avoir provoqué un incendie mortel, et erre dans la forêt, terrifié par ses pouvoirs : il peut manipuler l’eau, le feu et bien plus encore. En débarquant, hirsute, dans une bourgade nichée dans un splendide fjord, Eric provoque un nouveau drame et est arrêté par la police. Une psychologue, Christine (Iben Akerlie) est chargée de le faire parler, mais réalise que le jeune homme est effectivement doté d’incroyables pouvoirs qu’il déclenche parfois malgré lui. Alors que le gouvernement américain commence à s’intéresser à lui, Eric, avec l’aide de Christine, veut trouver une explication à sa condition et retourner sur les lieux de l’incendie où tout a commencé…
Quête éclair dans le grand nord
S’il a tous les ingrédients d’une origin story à la X-Men, s’attachant à l’errance d’un « mutant » dominé par des pouvoirs qui détruisent sa santé (Eric est couvert de brûlures dues à leur utilisation) et l’isolent du reste du monde, Mortal dévoile dès les premières séquences un caractère désenchanté, dépassionné et inquiétant, qui évoque plus Chronicle ou Jeeg Robot. Parce qu’il est nimbé de mystère, mutique et visiblement aussi désemparé qu’un Tetsuo dépassé par sa propre puissance, Eric fascine dans ce premier acte, dont l’originalité est accentuée par le décor, inhabituel pour ce type d’histoire, mais pas choisi par hasard. Rempli de plans aériens sur la majestueuse et quasi virginale nature norvégienne, avec ses lacs immaculés enlaçant des chaînes montagneuses couvertes de forêts épaisses, Mortal possède une force d’évocation indéniable, qu’Ovedral exploite pleinement. Eric y est un étranger, qui prend pourtant peu à peu conscience que ses vraies racines, l’origine de son fardeau, prennent leur source ici, dans ce pays dont il ne parle pas la langue. Pas de spoiler ici sur la révélation qui l’attend au bout du chemin (plutôt prévisible si l’on s’arrête deux minutes sur l’association entre super pouvoirs et décor scandinave), mais une chose est sûre : le cinéaste a forcément envisagé son film, lui l’enfant du pays passé par Hollywood, comme une réponse à la réappropriation de la mythologie locale par la lessiveuse culturelle américaine. Que son héros soit à cheval entre deux continents et que les USA soient représentés en tant que puissance de l’ombre malfaisante en dit aussi long sur ses intentions.
« Le film tire un peu trop sur la corde pour étirer au-delà des 90 minutes réglementaires un scénario linéaire au possible. »
Passé maître dans l’art de livrer des séquences impressionnantes avec de petits moyens, Ovredal emballe ici de chouettes scènes d’action, consistant principalement en des pluies d’éclairs et des nuages sombres qui s’abattent au-dessus de personnages incrédules dès qu’Eric est un peu (ou beaucoup) énervé. Une chute d’hélicoptère et une confrontation sur un pont désert restent comme les moments marquants d’un film qui tire pourtant un peu trop sur la corde pour étirer au-delà des 90 minutes réglementaires un scénario linéaire au possible, une fois le deuxième acte enclenché. Il est d’autant plus étrange de voir le peu de soin apporté par la romance obligatoire et pourtant précipitée entre Eric et Christine, ou l’inanité des personnages secondaires qui servent de témoins à leur gentille cavale sur les routes secondaires. La quête du héros est la seule chose qu’Ovredal soigne vraiment scénaristiquement. Même la fin abrupte, arbitraire, qui sonne soit comme une provocation mercantile (pour voir la suite, attendez Mortal 2 !) soit comme un renoncement gênant (c’est finalement là que les vrais enjeux du film pourraient commencer à se dévoiler), a un parfum d’inachevé. Dommage : par ses qualités scéniques et sa simplicité, Mortal offre par endroits un spectacle rafraîchissant, antidote tout trouvé aux circonvolutions feuilletonnantes et au second degré démystificateur du MCU actuel.