Netflix Film Club : beaucoup de bruit pour peu de projos
L’organisation en décembre d’un cycle de projections de films Netflix suscite des réactions corsées chez les professionnels du cinéma. A tort ?
C’est un scandale. Une honte. C’est même la fin du 7e art qui se profile, si l’on écoute depuis quelques jours les syndicats, associations et organisations qui représentent les exploitants, cinéastes et distributeurs de films en France. Les tribunes enflammées (voir hors-sol, comme celle, inénarrable, de l’Acid – Association du cinéma indépendant pour sa diffusion – qui continuera de se battre car « nous sommes le cinéma », rien que ça) se succèdent depuis le 25 octobre, pour mettre la pression sur… Netflix. Bien évidemment Netflix. Le fossoyeur du grand écran, celui par qui le mal capitaliste arrive (même si historiquement, Canal+ a été le premier à occuper le créneau de la SVOD en France). Celui qui n’investit qu’à contre-cœur dans la production hexagonale, qui ne « joue pas assez le jeu » pour mériter autre chose qu’une opprobre massive et globale des professionnels de la profession.
Qu’a fait Netflix cette fois ? La plateforme annonce vouloir organiser, du 7 au 14 décembre, un mini-festival, le « Netflix Film Club » (nom donné à la chaîne Youtube où sont postés les « bonus » de ses productions maison), qui lui permettra de projeter ses films phare de 2021. Un événement qui devait au départ être décliné dans plusieurs dizaines de salles (avec, on l’imagine, des visas d’exploitation temporaire délivrés par le CNC), mais qui ne concernera en fait que deux lieux : La Cinémathèque française à Paris (qui a déjà projeté The Irishman et Roma par le passé), et l’Institut Lumière à Lyon (où se déroulent les projections du festival Lumière chapeauté par Thierry Frémaux, qui a sélectionné en 2021 quatre films Netflix). Seront programmés en une semaine Pieces of a Woman, Malcolm & Marie, The Guilty, The Harder they Fall, Clair-Obscur ainsi que les grosses machines à Oscars de décembre The power of the dog, The Hand of God, The lost daughter et Don’t look up – Déni cosmique.
Deux cinémas ? C’est déjà trop
A peine 10 films, donc, projetés hors du circuit commercial habituel, pour donner aux Lyonnais et Parisiens une chance de voir le dernier Jane Campion ou le Paolo Sorrentino sur grand écran. C’est peu, ça n’est pas si exceptionnel que cela, et cela bouleverse moins la chronologie des médias que ne le fait actuellement First Cow, western élégiaque de Kelly Reichardt, diffusé dans un large circuit de salles tout en étant disponible depuis juillet sur la plateforme Mubi.
Mais Netflix n’est pas Mubi. Pas aux yeux de l’Acid, de la FNCF (Fédération nationale du cinéma français) ou du Syndicat des distributeurs indépendants. Cette promotion déguisée, ils n’en veulent pas. De fait, les plateformes SVOD, surtout américaines, les professionnels n’en veulent pas. Parce que cela tue le grand écran, surtout dans une période post-Covid où les sorties de films s’enchaînent mais où peu de titres rencontrent le succès. Sauf que : d’une part, il n’y a pas plus de sorties hebdomadaires qu’en 2019 depuis la réouverture au cinéma – par contre, il y a un pass sanitaire, qui suffit en partie à expliquer les chiffres de fréquentation maussades. D’autre part, la SVOD et les habitudes, bonnes comme mauvaises, qu’elle fait prendre aux spectateurs, sont là pour durer. Dix films projetés dans deux villes pour des happy few citadins ne changeront rien aux scores des films de Noël.
« Ce combat d’arrière-garde prend une dimension surréaliste. »
Dans un contexte de redéfinition de la chronologie des médias française, aussi unique dans sa complexité que dépassée dans ses termes (on le rappelle : pas de films sortis en salles en SVOD avant 36 mois, primauté à un Canal+ en perte de vitesse et jouant le chantage autour du financement du cinéma français), ce combat manichéen d’arrière-garde autour des « contenus Netflix » – qu’importe le nom du cinéaste, si ça n’est pas projeté dans une salle obscure, c’est donc un téléfilm – prend une dimension surréaliste. Posons-nous juste la question : la diffusion exceptionnelle en salles des cinq films Small Axe réalisés par Steve McQueen (qui l’auraient bien mérité) disponibles sur la Française Salto auraient-il déclenché la même fureur ?
Source : Satellifacts.com