Le Grand Prix du Festival de Deauville est revenu en septembre dernier à un bien étrange polar, Night Moves de Kelly Reichardt (à ne pas confondre avec le film d’Arthur Penn avec Gene Hackman, appelé La Fugue en VF). Indépendante et habituée des festivals (de Sundance à Toronto en passant par Venise et New York), la réalisatrice de La dernière piste a su attirer autour d’un sujet fort un trio d’acteurs très intéressants : Jesse « Zuckerberg » Eisenberg (vu dernièrement dans Insaisissables), Dakota Fanning (qui a bien grandi depuis La guerre des mondes) et le toujours impeccable Peter Sarsgaard (Blue Jasmine, Détention Secrète).
Un rythme d’escargot
[quote_right] »Eisenberg apparaît bien trop jeune pour le rôle, et n’a pas vraiment les épaules pour exprimer la transformation mentale de son personnage. »[/quote_right]Kelly Reichardt a choisi, là encore en toute indépendance, un sujet plus qu’original à savoir l’activisme écologique, présenté ici de manière soft et plus radicale. Dans un domaine où Zal Batmanglij et Brit Marling se sont plus ou moins cassé les dents avec The East, Night Moves choisit un parti-pris enrichissant, celui du suspense. Josh, jeune et taciturne idéaliste, dort dans une yourte et produit à la ferme des paniers-repas pour les plus démunis. Un jour, il décide de se tourner vers la violence pour faire entendre sa voix. La première et plus intéressante partie du film se concentre sur la constitution de l’équipe, composée d’une jeune fille issue d’une famille aisée et d’un ami anarchiste. Petit à petit, le groupe échafaude avec un sérieux papal et bien évidemment dans le plus grand secret, le « coup » écologiste qui agiterait toutes les consciences. Le côté attachant du trio parvient alors à produire un effet presque cathartique, alors même que le spectateur ignore les tenants et aboutissants du plan.
Mais, au moment même où le scénario prend un tournant tragique pour nos trois rebelles, celui-ci prend une tournure contestable. Le temps semble s’arrêter dans Night Moves, ou du moins ralentir considérablement. Les scènes se font plus lentes, plus suggestives. D’une ambiance contestataire et inquiétante, l’histoire s’attarde soudain sur des thèmes récurrents dans les polars, ceux de la culpabilité et de la paranoïa. La caméra de Kelly Reichardt se rapproche amoureusement de Jesse Eisenberg (un peu comme Arnaud des Pallières avec Mads Mikkelsen dans Michael Kohlhaas) en tentant d’entrer dans sa tête. Or, à mesure que son personnage s’étoffe, il apparait que l’acteur est bien trop jeune pour le rôle, et n’a pas vraiment les épaules pour exprimer la transformation mentale de son personnage. Dommage, après un si bon début, d’ensevelir les points forts du film sous un rythme si lent, si chichiteux qu’il en devient agaçant, sans prendre la mesure des limites belles et bien atteintes par son acteur, manifestement désireux d’élargir sa palette de comédien.
Une photo remarquable
Kelly Reichardt ne signe pas avec Night Moves un polar exempt de défauts. Mais la jeune metteur en scène sait, grâce, peut-être à des études au musée des Beaux-Art de Boston, saisir la beauté des paysages. Elle filme son Oregon natal avec un amour et un talent pictural particulièrement agréable à contempler. La nuit, les rivages du lac prennent une dimension fantomatique. Les roseaux se dressent à la lisière de l’eau, comme des menaces quasi indicibles. La musique envoûtante de Jess Grace achève de façonner une ambiance hors du temps. La campagne, la vie à la ferme bio où travaille le héros, la terre, les légumes fraîchement cueillis semblent presque atteindre les narines du spectateur.
Filmé par une véritable artiste de l’image, Night Moves plonge au cœur d’un milieu activiste souvent ignoré des caméras, à part dans le milieu documentaire. Mais la lenteur rebutante du film et un scénario visiblement achevé à la va-vite, rend malheureusement le résultat rapidement oubliable.
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Night Moves
De Kelly Reichardt
2014 / USA / 112 minutes
Avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning, Peter Sarsgaard
Sortie le 23 avril 2014
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