À force de l’attendre, elle n’a présenté finalement que peu de surprises : la 87e cérémonie des Oscars, qui s’est déroulée cette nuit pour nous à Los Angeles, a permis au film d’Alejandro Gonzalez Inarritu, Birdman, de triompher dans la dernière ligne droite et de succéder à son compatriote Alfonso Cuaron, avec quatre récompenses (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure photographie, meilleur scénario original), aux dépens du grand perdant de la soirée, Boyhood, qui n’a récolté qu’une statuette pour six nominations. La confrontation entre ces deux films indépendants, qui se sont partagés tous les prix durant la looongue période pré-Oscars (qui débute rappelons-le en septembre, lors du très couru festival de Toronto) constituait le principal suspense d’une soirée où la majorité des dés étaient déjà jetés.
Sorti sur le tard et devenu rapidement un phénomène de société aux USA, American Sniper n’a pas réussi à jouer les trouble-fêtes au sein d’un palmarès compact, recentré sur quelques phénomènes qui ont déjà fait tant parler d’eux qu’une certaine fatigue médiatique commençait à se faire sentir (vous avez sans doute compris à ce point que Birdman marquait le retour au premier plan de Michael Keaton, non ?).
Arquette, Simmons, Moore : les favoris au rendez-vous
Richard Linklater peut être légitimement déçu que son Boyhood, conçu et tourné sur douze années, n’ait pas reçu de plus grande accolade que l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour Patricia Arquette (qui a toutefois profité de son discours pour lancer un vibrant appel à une véritable égalité de salaire entre hommes et femmes). Même la statuette du meilleur montage, justifiée vue la masse d’images à condenser dans une seule histoire cohérente, lui a échappé au profit de Whiplash (ne crions pas à l’injustice : le montage est l’une des grandes forces du film de Chazelle), lui aussi beau vainqueur de la soirée avec trois récompenses, dont l’ultra-attendu Oscar pour l’excellent JK Simmons. Les autres « valeurs sûres » du moment (Julianne Moore pour le drame sur l’Alzheimer Still Alice, Eddie Redmayne pour le biopic La merveilleuse histoire du temps, qui ravit donc l’Oscar à Michael Keaton) ont également répondu à l’appel. À ce niveau-là, plus besoin de prédictions : la seule inconnue était de savoir si les vainqueurs annoncés allaient trébucher en montant sur scène.
Autre grand triomphateur d’une soirée marquée par les discours politique en tous genres, quelques vannes bien senties (et d’autres moins) et quelques grands moments d’émotion, The Grand Budapest Hotel a récolté quatre statuettes, principalement dans les catégories techniques. Meilleurs décors, meilleurs costumes (rien que de plus normal vu le résultat à l’écran), meilleure musique pour le frenchie Alexandre Desplat (enfin !) et plus surprenant, meilleurs maquillages, la catégorie ayant longtemps été promise au blockbuster Les gardiens de la galaxie.
Le reste du palmarès se partage entre accessits honorables (meilleur scénario adapté pour Imitation Game, reçu par un Bradley Moore qui s’est fendu d’un discours particulièrement intime, meilleur montage sonore pour le film de guerre de Clint Eastwood, meilleure chanson pour le film Selma, qui aura occupé, à tort ou à raison, un espace médiatique inversement proportionnel à son nombre de nominations) et confirmations prévisibles, allant de l’Oscar du film étranger pour Ida à celui du film documentaire sur Edward Snowden Citizenfour, bientôt en salles chez nous.
Beaucoup d’humour, peu de surprises
Un chiffre suffit à résumer notre impression : 16 de nos 24 pronostics se sont avérés corrects ! Seules quelques surprises se sont glissées dans le lot d’une ronronnante mais divertissante cérémonie emmenée par un Neil Patrick Harris très (hum) à son aise : inexplicablement, Disney éclipse encore Dreamworks du côté de l’animation, en repartant avec l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation Le Festin, qui constitue l’avant-programme cinéma des Nouveaux Héros, qui lui est vainqueur dans la catégorie long-métrage ! Dommage pour Dragons 2 et Le conte de la princesse Kaguya, indéniablement plus réussis. Et nous ne parlerons pas, pour ceux qui n’en reviennent toujours pas, de The Lego Movie (à l’origine toutefois de très bons gags durant la soirée, peut-être pour rattraper le coup…). L’autre déception, toute relative, vient de l’Oscar des meilleurs effets spéciaux pour Interstellar, qui récompense certes un travail impressionnant, mais pourtant moins que le boulot abattu par Weta Digital sur La planète des singes : l’affrontement, et sa performance capture photoréaliste.
Et puis, ne les oublions pas, il y a tous ces films qui sont repartis bredouilles, et qui auraient mérité mieux : Gone Girl, Night Call, Inherent Vice… Des titres laissés sur le bord de la route d’un palmarès pourtant généreux avec les films « de la marge », originaux, loin d’être d’énormes succès en salles (exception faite peut-être du Wes Anderson, et bien sûr d’American Sniper) et qui ne répondent qu’à leurs propres choix esthétiques et narratifs. C’est peut-être la vraie leçon de cette édition 2015.