Les oubliés de la VOD : 6 films à découvrir sur Netflix

Portail SVOD le plus utilisé en France, Netflix profite de sa domination pour accumuler les titres exclusifs. Nous en avons retenu 6, visibles nulle part ailleurs !
C’est peu dire que la France a tardé à prendre le train de la SVOD (pour « service de vidéo à la demande par abonnement mensuel »). Alors que les Américains profitent depuis des années de services sans commune mesure avec notre offre légale, le marché français a végété pendant des années, avec une faible adhésion aux services existants – CanalPlay en premier lieu, SFR Play, FilmoTV -, faute d’un catalogue assez aguicheur. L’arrivée, redoutée autant qu’espérée, de Netflix, a tout changé. Cela ne s’est pas fait en un jour, pourtant. La chronologie des médias française interdit au géant américain de proposer des films sortis en salles ayant moins de 3 ans ! C’est donc surtout dans son réservoir de programmes pour enfants, et de séries venues du monde entier, que Netflix a dû puiser du contenu.
Après des démarrages timides, la fin d’année 2016 a marqué une nette accélération dans le nombre d’inscriptions sur Netflix France (qui a entre-temps fermé ses bureaux parisiens, mais c’est une autre histoire). Alors que se profile un duel attendu avec le service Prime Video d’Amazon, Netflix compte près de 800 000 abonnés, et un nombre de films en constante progression. À plus de 50 %, ce sont des longs-métrages américains, diffusés régulièrement sur la TNT.
Mais grâce à ses acquisitions de droits dans les nombreux pays où il est présent, ses productions maison, et un marché du direct-to-video en demande croissante, Netflix propose aussi des films récents et logiquement inédits au cinéma. Des incontournables, dans certains cas, que nous avons voulu distinguer de la masse. En attendant, sans aucun doute, une future mise à jour avec de nouveaux DTV, Netflix et ses concurrents n’étant finalement rien d’autre que de grands vidéoclubs aux rayonnages fluctuants !
BEASTS OF NO NATION (2015, USA)
Production importante pour Netflix, en ce qu’elle signale l’ambition du groupe de s’imposer comme un producteur de contenu prestigieux pour le cinéma, Beasts of no Nation a pâti de sa nature bâtarde. Acheté à prix d’or pour être un « produit » exclusif, ce film pensé pour le grand écran a connu une sortie limitée aux USA, avec l’espoir que les Oscars le prennent en compte. Hélas, ni Cary Fukunaga, son réalisateur / producteur / scénariste et directeur photo, ni Idris Elba n’ont été nommés pour cette brutale odyssée marchant sur les traces de Werner Herzog. Cinéaste polyglotte reconnu dès son road-movie naturaliste Sin Nombre, et encensé après la saison 1 de True Detective, Fukunaga a changé de continent à chaque nouvelle réalisation. Il adapte ici un roman du Nigérian Uzodinma Iweala, racontant le destin d’un enfant-soldat enrôlé dans la milice d’un Commandant charismatique (Elba), après le massacre de sa famille. Si le pays d’Afrique dans lequel se déroule l’action n’est pas indiqué, c’est pour mieux souligner l’universalité d’une aventure terriblement évocatrice.
La première victime de la guerre, c’est bien connu, c’est l’innocence. Et la vision d’adolescents pourtant pleins de vie (belle ouverture, où le jeune Agu fait « vivre » une télé sans écran) transformés en zombies meurtriers, est une métaphore qui se passe de commentaires. Beasts of no Nation ne se résume pas à cette vérité nue mais nécessaire : gorgé d’images difficiles, le film se veut une réflexion sur la manipulation des esprits innocents, et le pouvoir de vie et de mort qui en découle. Personne ne naît « bête apatride », nous rappelle Fukanaga dans un épilogue d’une sérénité salvatrice. Mais il suffit qu’une société bascule dans la guerre civile pour que tout devienne relatif, flou, et terrifiant.
MI GRAN NOCHE (2016, ESPAGNE)
Cela n’était pas arrivé depuis Morts de rire et Perdita Durango, il y a quinze ans. Toujours aussi productif, le cinéaste espagnol Alex de la Iglesia a signé en 2016 ce Mi Gran Noche qui, une fois n’est pas coutume, est sorti directement sur Netflix. Difficile de comprendre les raisons de ce choix, même si le box-office décevant des Sorcières de Zugarramurdi n’est sans doute pas étranger à ce revirement. Le turbulent réalisateur ne se montre pourtant pas plus assagi ou moins cinglant, dans cette farce chorale et effrénée en appelant aux classiques de Blake Edwards. Ayant déjà croqué avec envie les dérives sensationalistes des médias dans Un jour de chance, De la Iglesia s’attaque ici au monde perfide de l’audiovisuel et du show-business. L’action se déroule dans un studio encerclé par les manifestants, alors que se tourne une émission de réveillon de Nouvel An sans fin. Le tournage dure depuis des jours, les figurants sont ivres d’ennui, l’équipe technique à couteaux tirés, et les stars invitées, comme le vénérable et perché Alphonso (interprété par l’Adamo ibérique, Raphael, dont l’un des tubes donne son nom au film) ou l’idiot Adanne (Mario Casas), n’arrangent rien.
Mi Gran Noche, de l’aveu même du metteur en scène, est conçu comme un tourbillon perpétuel, sautant d’un personnage à un autre dans une ronde d’intrigues et d’enjeux dont on sort exténué et hilare. Certaines, comme le coup de foudre entre un vieux garçon invité de dernière minute et une beauté fatale dans tous les sens du terme, touchent au sublime, quand d’autres, concernant les manigances d’un producteur, s’avèrent peu concluantes. La folie douce qui règne sur l’ensemble reste impressionnante, car Alex de la Iglesia parvient, en filigrane, à faire sens de tout ce chaos absurde et pourtant organisé avec précision.
PAS UN BRUIT (2015, USA)
Grâce à la sortie de Ouija : les origines l’an passé, séquelle on ne peut moins attendue et d’autant plus surprenante par ses qualités, le grand public a pu mettre un visage sur le nom de Mike Flanagan. Le réalisateur originaire de Salem s’est fait connaître en Europe avec l’excellent The Mirror et est rapidement devenu l’un des grands espoirs du genre, notamment avec l’inédit Before I Wake puis Ouija 2. Entre ces deux tournages, Flanagan s’est lancé en mars 2015 dans le tournage « top secret » d’un film acheté par Netflix, Hush. Renommé Pas un bruit, ce huis-clos minimaliste et ramassé (1h20 au compteur) renouvelle le sous-genre du home invasion grâce à une idée intrigante : l’héroïne, Maddie (Kate Siegel, également co-scénariste et épouse de Flanagan) est sourde et muette, et s’est retirée dans une maison nichée dans la forêt pour y retrouver l’inspiration. Ce qui devait arriver ne tarde pas à arriver : un tueur masqué (John Gallagher Jr.10 Cloverfield Lane) décide d’en faire sa prochaine victime.
Comme dans Terreur aveugle ou Seule dans la nuit, le handicap de Maddie est la clé de voûte de la scénographie bâtie par Flanagan. Certes, il faut oublier les facilités habituelles d’un genre qui nous donne toujours envie de critiquer son irréalisme (que ferions-nous dans ce genre de situation ? Sûrement pas la même chose, enfin !). C’est en lâchant prise et en savourant ce duel en vase clos, qui ressemble au climax du premier Halloween étiré sur un film entier, pour ce qu’il est, c’est-à-dire un exercice de style plus malin que la moyenne, que l’on prendra plaisir à suivre ce Pas un bruit, encensé par Stephen King et William Friedkin eux-mêmes.
LE SCOOP (2015, CORÉE DU SUD)
Parmi la vague de films sud-coréens ajoutés en 2016 au catalogue de Netflix, il convient de distinguer ce Scoop aussi cynique qu’enlevé. Connu sous le titre The Exclusive : Beat the devil’s tattoo, ce thriller se penche une fois n’est pas coutume sur un personnage de journaliste. Moo-hyuk n’est toutefois pas la fierté de la profession. Sur le point de perdre son job, et voir son mariage s’effondrer, il entrevoit une chance de se racheter en découvrant l’intérieur d’un appartement ressemblant fort à l’antre d’un tueur en série. Il en tire un article qui fait sensation : les télés s’arrachent ses infos, la police enrage, et Moo-hyuk regagne sa crédibilité. Toutefois, il va vite comprendre que son scoop était une fausse piste : il doit désormais fabriquer de fausses preuves pour éviter le pire, ce qui intrigue autant les flics chargés de l’enquête que le véritable tueur…
S’il ne possède pas la vista technique de la plupart des grosses productions locales, avec une réalisation de Roh Deok plutôt sage et académique, Le Scoop marque des points par la férocité et la malice d’un script aiguisé et impitoyable avec ses personnages. Qu’importe finalement que le film emploie des ficelles familières du thriller criminel : le vrai sujet c’est le monde des médias qui ne ressort pas grandi de l’affaire. La scénariste et réalisatrice pousse de fait très loin sa description d’un milieu obsédé par les audiences faciles et le potentiel de viralité d’infos plus ou moins vérifiées. Le constat fait à la fois sourire (le film est très drôle malgré son sujet assez glauque) et réfléchir, une qualité jamais négligeable au cinéma !
SPY TIME (2016, ESPAGNE)
C’est peu dire qu’on attendait avec ferveur ce Spy Time présenté en avant-première au BIFFF 2016, d’où il est reparti avec le prix du public. Comédie d’espionnage adaptée d’une BD célèbre en Espagne, ce film pétaradant est l’œuvre de Javier Ruiz Caldera, connu pour l’hilarant Ghost Graduation, distribué chez nous sous le manteau. Moins attachant et définitif, Spy Time donne plutôt dans l’humour corrosif et sanglant que doucement nostalgique. Le héros, surnommé Anacleto (Imanol Arias), est un vieil agent secret à la chevelure argentée, espion d’élite d’une agence gouvernementale sur le déclin. Efficace et rapide, il n’a qu’un point faible : son fils Adolfo (Quim Guttierez), veilleur de nuit pantouflard . Après qu’Anacleto ait été capturé, le rejeton découvre que l’étrange éducation prodiguée par son paternel a porté ses fruits : il est capable de tuer les hommes de main envoyés à ses trousses sans soucis ! La seule chose qu’il n’avait pas apprise, c’est le véritable métier de son père…
Le sous-genre de l’espionnage parodique n’est pas des plus faciles à manier, et Spy Time peut nous rendre parfois perplexe en voulant être plus pince-sans-rire qu’il ne le devrait. Caldera s’appuie notamment sur des gags (chiens explosifs, énucléation express) un peu trop extrêmes pour être vraiment drôles. La caractérisation des personnages, Adolfo en particulier, s’avère aussi assez légère, voire fantaisiste (sa métamorphose en James Bond ibérique paraît peu crédible). Pourtant, le cinéaste n’a pas perdu de son énergie derrière la caméra, et Spy Time peut compter à la fois sur le bagout de son impassible héros et sur ses nombreuses scènes d’action, évoquant L’Arme Fatale sous acide, pour nous divertir agréablement.
IMPERIUM (2016, USA)
Donnerait-on autant d’importance à Imperium s’il n’avait pas pour tête d’affiche Daniel Radcliffe ? La question peut être posée, mais la star des Harry Potter est bien la principale attraction de ce film d’infiltration ô combien classique, qui revêt toutefois une dimension intéressante à l’ère de la présidence Trump. Tout l’enjeu d’Imperium est en effet de suivre une opération du FBI à laquelle l’agence n’accorde que peu de crédit. Nate Foster (Radcliffe), caricature de rat de bureau à la coupe impossible, saisit la chance donnée par sa supérieure (Toni Collette, en vacances) d’aller sur le terrain. Sa mission : infiltrer les nationalistes néo-nazis, pour déjouer d’éventuelles tentatives d’attentat. Seulement, dans un monde où la principale menace vient des islamistes, ces extrémistes sont-ils une menace à prendre au sérieux ?
Quiconque a vu American History X esquissera un haussement d’épaule en découvrant cet univers parallèle : même si le scénario est très documenté (notamment dans les différences entre les différentes sous-factions), Imperium n’apporte rien de bien neuf sur la table. Tout au plus comprend-t-on, à travers l’un des personnages joués par Sam Trammell (True Blood) que c’est cette même faction plus politisée, plus glaçante, du nationalisme estampillé « white power », qui influence aujourd’hui, dans la réalité, les Tea Parties et le cabinet du président Trump. Radcliffe, lui, apparaît bel et bien crâne rasé et blouson court, et joue sur les paradoxes de son physique chétif pour composer un néo-punk crédible, confronté aux habituels soucis de l’officier infiltré (le micro encombrant, les amitiés interdites, les soupçons à déjouer…). Que du classique, donc, et un script filant droit vers un dénouement sans éclats. Mais, hey, Harry Potter joue un (faux) néo-nazi ! Quand même !