Tourné en 2012, Side by side raconte l’histoire d’une révolution cinématographique. L’arrivée du numérique au mi-temps des années 2000 a bouleversé en profondeur la manière de faire des films. Ce documentaire se veut le témoin d’une période charnière où l’analogique et le numérique ont avancé encore au même niveau, côte à côte, et des conséquences cruciales de ce grand changement. Il a été réalisé par Christopher Kenneally. Mais dans le film, c’est l’acteur et réalisateur Keanu Reeves, lui-même passionné et passionnant, qui se glisse dans la peau de l’intervieweur. Il va à la rencontre des grands noms du cinéma américain, d’âges et d’influences différents, qui défendent chacun leur camp, digital ou pelliculé, avec leurs propres arguments : Christopher Nolan, Paul Thomas Anderson, Martin Scorsese. Nous croisons aussi d’éminents techniciens comme Dick Pope, le chef opérateur attitré de Mike Leigh, notamment sur Mr Turner.
Début avril, la chaîne à péage annonçait sa programmation spéciale Festival de Cannes. Side by side sera diffusé le lundi 16 mai à 23 h sur la chaîne OCS Géant. « Notre chaîne OCS Géants est partenaire du Festival Lumières, raconte Guillaume Jouhet, directeur général d’OCS. Il y a deux ans, j’ai vu Side by side à Lyon et je l’ai trouvé fantastique. Je suis allé voir Keanu Reaves et non seulement il m’a vendu son documentaire pour notre chaîne, mais il est venu à Paris pour en parler ». Comme un ambassadeur de marque, Keanu Reaves est venu dire quelques mots sur son expérience documentaire. La rencontre était menée par Sophie Soulignac, présentatrice de l’émission Ciné, série & Cie. Compte-rendu !
Pourquoi ce titre Side by side ?
L’idée du documentaire m’est venue à la fin du tournage d’un de mes films, Henry’s Crime. L’intégralité du film a été tournée en caméra celluloïd, mais à la fin du processus, le film a été numérisé. Nous étions chez Technicolor, à New York et les deux versions étaient projetées côte à côte dans une salle. Les techniciens m’ont montré ce qu’ils pouvaient faire avec la pellicule et avec le numérique, et j’ai pensé que l’heure du celluloïd avait sonné. Je me suis dit « qu’est-ce que c’est que cette évolution/révolution ? ». J’ai donc demandé à Christopher Kenneally de partir à l’aventure avec moi pour comprendre ce phénomène.
Comment êtes-vous entré dans la peau d’un intervieweur ?
Quand j’étais petit, en 1984, je faisais parti d’un talk-show appelé Going Great ! J’interviewais des enfants à l’époque. Le tournage de Side by side m’a beaucoup plus parce que je devais vraiment mener une enquête sur un sujet que j’aime. C’était cool de contacter toutes les personnalités du film et de faire recherche sur la question.
Avec ce passage au numérique, le cinéma ne s’est-il pas désacralisé ?
Oui, beaucoup de personnes que j’ai rencontrées pour ce documentaire sont tout à fait d’accord avec cela. Nous avons tous une relation au cinéma qui date notre enfance, qui se rapporte au sacré. Le souvenir revenait d’avoir partagé cette salle et regardé cet énorme écran. Certaines personnes pensent qu’ils perdent quelque chose avec le passage au numérique, à la fois au niveau de l’artisanat ou du grain de l’image. Mais au regard du potentiel technologique, j’ai noté aussi un certain engouement dans ces nouveaux médias pour raconter des histoires autrement.
Le nombre de gens que vous interviewez est impressionnant. Ce ne sont pas seulement des réalisateurs : il y a aussi des monteurs, des directeurs photo…
Oui, parce le numérique touche tous les métiers du cinéma.
Pensez-vous qu’aujourd’hui il est plus facile ou difficile de faire rêver les gens au cinéma ?
Hollywood raconte des histoires depuis sa création, elle est surnommée The Dream Factory. Le documentaire essaie de regarder derrière le rideau pour voir comment cela se combine. Il est effectivement vrai que les personnes que j’ai interviewé utilisent beaucoup la métaphore du rêve lorsqu’ils parlent de la pellicule. D’ailleurs, j’ai l’impression que le rapport avec le spectateur qui était né avec la pellicule ne s’est pas arrêté avec l’avènement du numérique. Il y a une réelle relation entre le spectateur, la salle et le film. Je vois cette relation comme étant en constante évolution.
Aujourd’hui, le numérique est acté, mais son arrivée n’a pas été un long fleuve tranquille…
Non, absolument pas. Lorsque j’ai commencé ce documentaire en 2011, je n’aurai jamais imaginé qu’Henry’s Crime serait le dernier film que je ferai en celluloïd. À l’époque, la majorité des films était tournés dans ce format, en 2016, la majorité des productions sont tournés en numérique. Georges Lucas avait raison !
Que pensez-vous de l’avalanche d’effets spéciaux numériques et de motion capture que nous pouvons voir au cinéma aujourd’hui ?
Quand je regarde ces outils, je me dis que la création d’univers va avancer d’un très grand pas dans le futur. La sortie d’Avatar marquait déjà un pas significatif. Aujourd’hui, la sortie du Livre de la jungle en marque un autre. Il y a un remarquable travail sur l’apparence des animaux, sur la nature. Mais ne vous inquiétez pas, les humains seront les suivants ! Nous sommes toujours en quête de nouveautés et nous avons toujours envie de tester par nous-mêmes.
En tant qu’acteur, comment vous positionnez-vous par rapport aux nouvelles technologies ?
Mon métier reste de personnifier un personnage. Là où la technologie devient intéressante pour moi, c’est lorsqu’elle capture ma performance pour la placer dans un monde artificiel qui devient tout à coup réel. Le cinéma cultive une longue tradition de mondes imaginaires, comme celui de Metropolis. Depuis toujours, il est question de créer, de transporter des éléments de fiction dans le réel.
Avez-vous entendu parler de ce projet porté par de grands réalisateurs comme Steven Spielberg, de sortir un film à la fois au cinéma et en même temps dans les foyers ?
Au début du documentaire, nous voyons un enfant un train de regarder Lawrence d’Arabie sur un iPhone. Quand nous avons tourné cela, il s’agissait d’une pure fiction. Aujourd’hui, elle est devenue réalité. Grâce au numérique, il devient possible de diffuser une histoire sur de nombreux supports. Ces diffusions nouvelles se confrontent au modèle traditionnel, au grand dam des distributeurs. Face à cette vague immense, il faut créer de nouvelles expériences pour réinventer le lieu même du cinéma. En Chine, par exemple, il y a des projections de téléréalités, les concerts, des séries télé sont entrés aussi dans les salles obscures. L’essentiel reste d’aller partager ces expériences ensemble, de sortir.
Vous regardez vos films sur quel support ?
Je n’ai jamais regardé un film sur mon téléphone ! Mais c’est cool d’aller regarder des trucs sur YouTube de temps en temps.
J’ai beaucoup aimé tourner ce documentaire parce qu’il m’a familiarisé avec chaque étape du tournage d’un film. Chaque caméra numérique apporte sa propre vision de l’image, sa propre planche chromatique. Le résultat s’avère à chaque fois différent. Il y a aussi un travail très cool qui se produit en ce moment sur les objectifs et les logiciels qui permettent de donner une texture différente à l’image.
Vous avez été à la rencontre de nombreux réalisateurs. Avez-vous demandé à Quentin Tarantino, un fervent défenseur de la pellicule, de répondre à vos questions ?
Je n’ai pas eu que des réponses positives de sa part ! Je ne partage pas sa sensibilité, mais je comprends parfaitement son point de vue.
Êtes-vous prêt à jouer un film « en immersion », comme un jeu vidéo ?
Oui, mais ça dépend du scénario. Avec toutes les avancées technologiques auxquelles nous assistons aujourd’hui, je trouverais cela très fun. Beaucoup de grands acteurs ont accepté de mettre leur image au service d’un monde artificiel, comme Marlon Brando, ou Christopher Reeves qui jouait Superman.
Seriez-vous d’accord pour être scanné ?
Je l’ai déjà été pas mal de fois !
Les étudiants en cinéma aujourd’hui n’apprennent plus à se servir de la pellicule pour tourner uniquement en numérique. Qu’en pensez-vous ?
Oui, c’est déjà en train de se produire. De nombreuses écoles de cinéma abandonnent l’analogique pour développer leurs apprentissages uniquement avec du numérique. Mais en même temps, de nombreuses personnes, de nombreux groupes, perpétuent cet apprentissage et utilisent cette technologie pour qu’elle ne disparaisse pas. Comme pour l’industrie musicale, nous avons toujours des vinyles dans les étals des magasins. Le vinyle revient à la mode ! Awesome !
Que répondez-vous à la question qui traverse votre documentaire : « est-ce la fin du cinéma ? »
La fin du cinéma ? Absolument pas ! Nous avons toujours de très bons films, quelle que soit la manière dont ils sont tournés. Au final, plein de réalisateurs sortent de l’ombre grâce à cette technologie qui est plus accessible. Peu importe avec quel outil vous filmez, du moment que vous racontez une histoire avec votre cœur.
[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]Plus d’infos sur ce documentaire sur la page dédiée d’OCS.[/toggle_content]