La dernière édition en date du Festival du film coréen à Paris (FFCP) a permis, comme le savent nos lecteur attentifs, de découvrir en avant-première certaines bombes du cinéma sud-coréen, comme The Age of Shadows ou Tunnel. La manifestation parisienne ne se résumait pas, bien entendu, à ses têtes de gondole, et le festival a rempli les rangées du Publicis à de multiples occasions, souvent pour assister à des projections uniques de longs-métrages dont le destin à l’exportation est encore flou. Les trois films chroniqués ici, en particulier Inside Men, malgré la description pour le moins cauchemardesque qu’ils font de la sphère politique locale, ont été des succès dans leur pays. Mais ce plébiscite suffira-t-il à des titres comme Asura ou The Truth Beneath pour être distribués en France ? Au vu du succès inespéré de Dernier train pour Busan et Mademoiselle cette année, tous les espoirs sont permis… !


The Truth Beneath : enquête sur une disparition

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L’engagement en politique, surtout lorsqu’on souhaite accéder aux plus hautes responsabilités, a souvent pour conséquences de soumettre à une attention disproportionnée la sphère privée. Rien de révolutionnaire dans ce constat : lorsque, comme Yeon-hong (Son Ye-jin), on est l’épouse d’un futur candidat à la présidentielle, vie publique et vie privée ont une frontière poreuse. Dans The Truth Beneath, ce décor de campagne sans merci fournit le cadre déjà anxiogène d’une affaire beaucoup plus intime : en pleine élection, leur fille disparaît sans laisser de trace. De peur d’attirer des critiques négatives (l’un des slogans de la campagne est tout de même « Protégeons nos enfants »), Jong-chan, le père, décide de passer cette « fugue » sous silence. Très vite, c’est Yeon-hong, épouse effacée mais pleine de ressources, qui prend l’enquête en main : elle découvre les secrets et la vraie personnalité de sa fille. Chaque révélation contribue à rendre encore plus complexe le mystère qui se cache derrière cette disparition…

[quote_left] »Aussi touffu qu’une saison de Twin Peaks. »[/quote_left]Présenté comme une production inhabituelle et audacieuse, The Truth Beneath, deuxième film de Lee Kyoung-mi, ancienne assistante de Park Chan-wook, déjoue progressivement nos attentes. La surprise, c’est que la politique, si elle est un élément essentiel de l’intrigue, se voit vite reléguée au second plan lorsqu’il apparaît que le scénario est centré sur le drame paradoxalement révélateur que vit Yeon-hong. Ivre de chagrin mais de plus en plus déterminée à connaître la vérité, elle découvre que le fruit de ses entrailles était devenu une adolescente totalement étrangère à elle. Totalement autonome, ambiguë et vivant pratiquement une double vie sulfureuse : bref, une vraie Laura Palmer coréenne, autour de laquelle Kyoung-mi tisse un réseau de fausses pistes et de personnages secondaires marquants, rendant l’investigation aussi touffue qu’une saison de Twin Peaks. La quête de vérité a beau être ici libératrice par bien des aspects, elle se fait dans la douleur. Le bouchon de la manipulation est parfois poussé trop loin, avec l’apparition fugace d’un malade mental sorti de nulle part qui s’attaque à l’héroïne par exemple, mais jusqu’à sa résolution, The Truth Beneath s’avère passionnant.

Soignée sans être maniérée, la mise en scène use de mille collages temporels et graphiques pour décrire le tourbillon d’émotions qui s’empare de l’héroïne. Sans surprise, l’interprétation est au diapason de cette exigence stylistique : Son Ye-jin en particulier, loin des films romantiques à la April Snow qui ont fait son succès, crée une superbe vision de mère courage mais imparfaite, déterminée mais faillible. Une performance notable, dans un film qui l’est tout autant !


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
The Truth Beneath (Bimileun Eopda)
De Lee Kyoung-mi
2016 / Corée du Sud / 102 minutes
Avec Son Ye-jin, Kim Ju-hyuk, Shin Ji-hoon
Sortie prochainement
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Asura, the City of Madness : cloaque, mode d’emploi

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Si son nom n’est pas vraiment reconnu du public occidental, Kim Sung-soo est pourtant un réalisateur dont la filmographie s’est jusqu’à présent très bien exportée en France. Actif dès l’explosion de l’industrie sud-coréenne, le cinéaste s’est fait remarquer en 2001 avec l’épique Musa, la princesse du désert, aventure serialesque et enlevée sortie en salles juste après le succès de Tigre et Dragon, grâce entre autres à la présence de star Zhang Ziyi en tête d’affiche. Sung-soo s’est montré très productif par la suite, avec des polars (Running Wild), des comédies (Please teach me English) et des films catastrophe (Pandémie) remarqués. Esthète de talent, le metteur en scène a noirci considérablement sa palette cette fois avec Asura, the City of Madness, thriller glauquissime mélangeant la hargne anti-establishment d’un Sidney Lumet avec l’outrance sanglante et incontrôlée d’un Takashi Miike.

L’anti-héros d’Asura est, comme souvent, un flic un peu trop borderline et ripou, Han (le sex-symbol Jung Woo-sung, vu dans Le bon, la brute et le cinglé), qui exécute depuis des années les basses œuvres du maire de sa ville, l’excentrique Park Sung-bae (Hwang Jeong-min, à l’affiche de The Strangers et ici complètement déchaîné). Han se retrouve mis sous pression par un procureur peu commode, Cha-in (Kwak Do-won, lui aussi en tête d’affiche de The Strangers !), après une bavure commise sur un collègue. Impossible d’en sortir la tête haute : seul le moins scrupuleux d’entre eux pourra espérer s’en sortir… Autant dire que l’espoir n’est pas la notion qu’on associera le plus facilement avec Asura. Rarement a-t-on vu dans le cinéma sud-coréen, pourtant habitué de la chose, une charge aussi vicieuse et impitoyable contre les représentants des pouvoirs publics.

[quote_left] »Une complaisance qui finit par donner la nausée. »[/quote_left] Kim Sung-soo a choisi de renvoyer toute cette caste, essentiellement masculine, dos à dos. Certains, comme Han, essaient de retrouver une dignité de façade, en s’occupant de leur femme malade, d’autres comme Cha-In agitent des valeurs nobles (la justice face aux corrompus) mais n’en agissent pas moins comme des voyous. Et puis il y a le reste de la meute, dénuée d’émotions, qui s’adonne à la torture, aux exécutions et aux coups bas politiques, le tout sous la houlette du « boss » Sung-bae. Un cas extrême, cet édile obséquieux, tellement psychopathe et caractériel qu’on se demande comment il a pu accéder à de hautes fonctions. Porté par une esthétique ténébreuse, Asura décrit ce cloaque moral avec une complaisance qui finit par donner la nausée. Témoin un dernier acte où se déchaîne une violence apocalyptique, façon John Woo mais sans le lyrisme. Le film s’enferme dans sa propre grandiloquence, comme piégé par ses excès précédents, qui ne peuvent déboucher que sur un dénouement nihiliste. Seule consolation révélée par le cinéaste lui-même : cette « Cité de la Folie » est en fait une ville imaginaire, où l’on est pas pressé de mettre les pieds…


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Deux sur cinq
Asura, the City of Madness
De Kim Sung-soo
2016 / Corée du Sud / 136 minutes
Avec Jung Woo-sung, Hwang Jung-min, Kwak Do-won
Sortie prochainement
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Inside Men : manichéisme et buddy movie

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Le succès colossal en Corée du Sud d’Inside Men (plus de 10 millions de spectateurs), est un signe clair que le film est venu titiller une corde sensible chez de nombreux spectateurs. Dans un pays qui a vu des centaines de milliers d’habitants descendre dans la rue pour réclamer le départ de leur président, exaspérés par la collusion entre le monde des affaires et celui des politiciens, Inside Men résonne avec force. D’une complexité qui peut désarçonner au départ, le film retrace le parcours chaotique de deux anti-héros que le destin va rassembler. D’un côté Ahn (la mégastar Lee Byung-hun, qui effectue un retour en force au premier plan en parallèle à son apparition dans Les Sept Mercenaires), chef de gang ambitieux et m’as-tu-vu, qui commet une erreur fatale quand il sous-estime la cruauté de son boss officieux, le politicien Pil-woo. Il perd un bras dans l’affaire et redescend brutalement au bas de l’échelle : c’est là qu’il croise Jang-hoon (Cho Seung-woo, Assassination), procureur tout aussi pressé de réussir sa carrière. Il faudra pour cela confronter un autre ami puissant de Pil-woo, Lee Kang-hee, patron de presse dont l’influence peut faire ou défaire les élections…

[quote_left] »Un scénario pas avare en clichés. »[/quote_left]Étrange cocktail que celui proposé par Woo Min-ho (Les Braqueurs) : Inside Men, moins porté sur les règlements de compte et la violence délétère qu’un Asura, n’en partage pas moins avec lui cette volonté de montrer la sphère politico-médiatique sous son jour le plus effroyable. Sous des atours de divertissement à suspense, dans lequel des héros méprisés et rabaissés par leurs supérieurs emploient des stratégies détournées pour faire triompher la justice, Inside Men dépeint un monde clos et vicié qui rappelle plus l’Antiquité romaine que le monde moderne. Avec un manichéisme cartoonesque (de fait, le film est adapté d’une web-BD populaire), Min-ho en rajoute dans le stupre en dépeignant des pontes machiavéliques comme des DSK sans scrupules, organisant des grandes bouffes orgiaques avec des hôtesses nues. Forcément, face à ce pouvoir corrompu jusqu’à l’os du caleçon, Ahn et Jang-hoon apparaissent comme des modèles de vertu, liés par leurs origines rurales et une vraie boussole morale.

Le propos d’Inside Men n’est pas anodin, et se fait le témoin d’une défiance durable à l’égard des élites, qui n’a jamais été aussi palpable. Le film, lui, n’en est pas moins formulaïque, préférant user le stabylo que la plume pour discourir sur l’état du pays : tout est dessiné à gros traits, et le scénario n’est pas avare en clichés et en rebondissements attendus. Il est également difficile d’imaginer qu’un personnage comme Kang-hee, manipulateur de la Nation par la seule force… de ses journaux (des journaux PAPIER, hein), puisse avoir une telle influence ou même exister au 21e siècle. C’est un raccourci peut-être nécessaire, mais qui colle mal avec l’ambition réaliste de Min-ho – qui utilise par ailleurs le nom et l’image de véritables conglomérats et de lieux de pouvoir dans l’intrigue.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Inside Men (Naebujadeul)
De Woo Min-ho
2015 / Corée du Sud / 130 minutes
Avec Lee Byung-hun, Cho Seung-woo, Baek Yun-shik
Sortie prochainement
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