Riders of Justice : une drôle de vengeance danoise
Maître de l’absurde et du mélange des genres, Anders Thomas Jensen tire encore dans le mille avec Riders of Justice, thriller comique endeuillé porté par Mads Mikkelsen.
Malgré une collaboration avec Mads Mikkelsen qui s’étale sur plus de 20 ans, l’œuvre d’Anders Thomas Jensen reste encore aujourd’hui le secret le mieux gardé du cinéma danois. Scénariste de renom ayant posé sa plume sur des projets aussi différents qu’After the Wedding de Suzanne Bier, Antichrist de Lars Von Trier ou le western The Salvation (aussi avec Mikkelsen), Jensen s’attache le reste du temps à réaliser des longs-métrages aussi allumés, imprévisibles et complexes que possible. De son premier opus Flickering Lights jusqu’à ce Riders of Justice, en passant par Les bouchers verts, Adam’s Apples (son chef-d’œuvre) et Men & Chicken, Jensen a suivi un bonhomme de chemin des plus jouissifs, en compagnie d’une bande de fidèles acteurs versatiles et n’ayant pas peur d’apparaître – souvent – sous leur plus mauvais jour. En tête du gang, trône bien sûr Mikkelsen, puis Nikolaj Lie Kaas (devenu célèbre grâce aux Enquêtes du Département V), Nicolas Bro et Ulrich Thomsen. Excepté ce dernier, toute la bande est à l’affiche de Riders of Justice, un mélange de comédie absurdiste, de film d’action ultra-violent, de fable de Noël et de mélodrame délicat sur le deuil. Et ça marche !
Complot ou coïncidence ?
Markus (Mads Mikkelsen) est un soldat danois dévoué corps et âme à sa mission en Afghanistan. Distant avec sa famille, le barbouze discipliné doit faire son paquetage le jour où sa femme meurt dans un tragique accident de métro. De retour à la maison (qui a tout d’un ancien corps de ferme – c’est important !), Markus doit composer avec le chagrin de sa fille adolescente, Mathilde (Andrea Heick Gadeberg), qu’il n’a finalement pas vu grandir. Détruit de l’intérieur, mais arborant une façade mutique, notre militaire barbu se laisse attirer par la théorie que lui expose un jour Otto (Nikolaj Lie Kaas), un statisticien à la dérive présent dans la rame le jour fatidique, qui est persuadé que l’accident cache en fait un attentat destiné à éliminer le chef du clan des « Riders of Justice », qui devait comparaître devant la justice. Aidé par deux amis d’Otto sérieusement perturbés, Markus décide de noyer sa peine dans une vengeance qui ne fera pas de détails… Tout en apprenant à mieux connaître sa fille et son nouveau gendre.
« Doit-on rire ? Doit-on pleurer, ou accrocher sa ceinture ? »
D’un pitch aussi étonnant et polarisé (doit-on rire ? Doit-on pleurer, ou accrocher sa ceinture ?), un réalisateur lambda aurait pu tirer n’importe quel style de film. Selon le ton que l’on choisit, Riders of Justice peut partir dans n’importe quelle direction. Le talent, assez unique, de Jensen – même si le résultat fait penser au jonglage artistique des cinéastes coréens – est d’explorer tous les fronts à la fois, sans jamais céder à la tentation du second degré ou de l’exploitation facile. Le cœur battant de ce film réside dans la relation entre ce père tordu de douleur à force de retenir ses émotions, et sa fille en manque soudain d’affection, excédé par le nihilisme et la raideur martiale de son paternel. Partant de cette base dramatique, le réalisateur peut à loisir varier entre scènes touchantes sur l’apprentissage du deuil, intermèdes comiques assurés par un trio de Lone Gunmen d’abord ridicules puis attachants (le travail de deuil est là aussi la source de toutes leurs interactions) ou le malheureux gendre de Markus, et intrigue polardeuse sans concession touchant du doigt les dangers du complotisme, Mikkelsen faisant parler plus d’une fois la poudre avec l’aplomb qui le caractérise. Riders of Justice évoque aussi, par son prologue et sa conclusion, ainsi que dans le destin d’un jeune esclave sexuel trouvant bientôt sa place dans cette assemblée d’éclopés du cœur, les jeux du hasard et des coïncidences, qui régissent dans leur absolu illogisme notre vie pour le meilleur et pour le pire.