Salem : le retour des vampires à l’ancienne
Troisième adaptation longtemps repoussée du roman de Stephen King, Salem redore avec déférence le mythe du vampire old school.
Il a fallu être aussi patient qu’un suceur de sang piégé dans son cercueil pour découvrir Salem, 3 ans après le tournage du film réalisé par Gary Dauberman (scénariste et réalisateur sur la trilogie Annabelle et à l’adaptation sur les deux Ça). Une sortie cinéma annulée plusieurs fois, la menace de voir les huiles de Warner Bros jeter le produit fini aux oubliettes comme un vulgaire Batgirl, la montée au créneau de Stephen King sur Twitter pour défendre le résultat – même si des libertés qu’il désapprouve ont été prises avec le roman… L’histoire de la distribution de Salem est aussi feuilletonnante que l’œuvre d’origine, adaptée une troisième fois après la fameuse mini-série de Tobe Hooper (1979) et le téléfilm plus oublié de Mikael Salomon (2004). Plus ramassée, elliptique et, de ce fait, frustrante, la version cinéma de Dauberman ne démérite pas dans son œuvre de réhabilitation du mythe vampirique, ici débarrassé de tous ses oripeaux aristocratiques et séducteurs. Salem est avant tout l’histoire de la contamination inéluctable d’une petite ville par le Mal absolu – un thème qui parcourt par ailleurs l’œuvre du roi du Maine.
Une invasion menée à un train d’enfer
Salem reste, autant qu’il le peut, fidèle à sa source. L’arrivée dans la paisible bourgade de Jerusalem’s Lot de l’écrivain Ben Mears (Lewis Pullman, Top Gun : Maverick, L’affaire de la Mutinerie Caine), qui a grandi sur place, coïncide avec la disparition de plusieurs enfants et une curieuse épidémie d’anémie mortelle. Le film ne perd pas de temps (à quoi bon ?) pour nous révéler l’origine de ces événements : le vampire Kurt Barlow (Alexander Ward), débarqué en Amérique avec l’aide de son obséquieux rabatteur humain, Straker (Pilou Asbaek), a décidé de transformer tous les habitants de la ville en goules nocturnes. Une poignée d’habitants, parmi lesquels le jeune Mark Petrie (Jordan Carter), le professeur Burke (Bill Camp), le docteur Cody (Alfre Woodard), le père Callahan (John Hickey) et la charmante Susan Norton (Makenzie Leigh), pas insensible au charme de Ben, vont s’allier pour contrer, si possible, le plan impitoyable de Barlow avant qu’il ne soit trop tard…
« Salem se voudrait angoissant, dans la lignée de Ça et des Conjuring,
mais son classicisme revendiqué l’empêche d’être terrifiant. »
S’il n’est pas le plus fameux, ou le plus célébré, des romans de Stephen King, Salem fait partie des romans incontournables de « l’âge d’or » de la carrière de l’écrivain. Œuvre de jeunesse, le livre multipliait les personnages qui succombaient, les uns après les autres, au pouvoir de Barlow, avatar de Nosferatu projetant son ombre gothique sur le quotidien rural so American de Salem. La version de Dauberman poursuit ce même objectif de dépeindre la vie de cette bourgade dominée par une masure inquiétante au passé sanglant (un aspect éludé en grande partie par le film). Salem se montre plus convaincant dans l’installation de son décor que dans la construction de ses personnages. Avec son récit choral introduisant une dizaine de protagonistes, le temps manque, inévitablement, pour brosser chacun d’entre eux autrement qu’à grands traits. Dauberman plante ça et là quelques bonnes idées (dont une séance au drive-in où sont résumées plusieurs petites histoires tirées du roman) pour compenser le côté FedEx narratif, mais notre implication émotionnelle en pâtit forcément. Les plus grandes victimes sont d’ailleurs le couple de héros principal, à la fois handicapé par de mauvais dialogues et le jeu approximatif de Pullman et Leigh. Et ne parlons pas de Barlow, croquemitaine omniscient mais quasi invisible réduit à trois-quatre apparitions, ou du pauvre Pilou Asbaek, peu à sa place dans un rôle ingrat au possible.
Le classicisme est l’ennemi du frisson
Ce qui importe le plus dans cette version de Salem, c’est de faire avancer le récit à grandes enjambées. Si le premier tiers prend son temps pour installer la menace – en commençant par un enlèvement d’enfants filmé comme un conte à la Hansel et Gretel -, la suite ne s’embarrasse pas de tergiversations pour rassembler ses différents héros. La séquence iconique du petit garçon vampire flottant devant la fenêtre de Mark Petrie répond bien présent, tout comme l’arsenal de crucifix et de croix en tous genres (brillant ici comme des sabres laser !) indispensable pour envoyer les victimes de Barlow dans l’au-delà. Timidement gore, Salem se voudrait angoissant, à la fois dans la lignée de Ça et des Conjuring. Mais son classicisme revendiqué l’empêche d’être terrifiant : ce n’est pas parce qu’on se réjouit de revoir des vampires old school, crocs en avant et bestiaux à 100 %, qu’il faut oublier que cette figure-là aussi est vieille comme le monde sur grand écran, et génère donc peu de surprises ou frissons chez un public connaisseur. Et c’est sans compter le fait que Barlow lui-même est finalement très peu présent à l’écran.
Bien que familière au dernier degré, cette imagerie est sublimée par la photographie souvent saisissante de Michael Burgess (Conjuring 2, Malignant). Aussi inégal et parfois désincarné soit-il, Salem est plutôt beau à voir, la mise en scène se montrant inspirée pour compenser le rendu d’effets numériques un peu trop voyants. C’est le cas dans le climax brûlant, qui diffère totalement du roman de King. Une virée inattendue au drive-in qui offre, peut-être involontairement, un commentaire méta sur la nature désuète du projet – le décor renvoyant à une époque révolue en même temps qu’à l’immortalité d’une figure vampirique qui n’en finit pas de nous fasciner.