Scare Me : faire peur, c’est tout un art
Huis-clos minimaliste bouillonnant d’inventivité, Scare Me mise sur le cinéma pour célébrer l’imaginaire littéraire et oral. Stimulant !
Comme beaucoup d’exclusivités de la plateforme Shadowz, Scare Me fait partie de ces petites productions passées sous le radar qui font les beaux jours de son inspirateur américain Shudder. Aussi minimaliste qu’un Creep ou un Hush, Scare Me est un rêve de producteur sans le sou : un quasi huis-clos dans un chalet hivernal avec deux personnages qui ne font rien d’autre… que se raconter des histoires à faire peur. « Effraie-moi », lance, comme un défi, la jeune Fanny (Aya Cash, à l’opposé de son rôle de super-héroïne nazie dans The Boys), auteur d’un roman zombiesque à succès nommé Venus, lorsqu’elle rencontre en plein footing dans la forêt le quarantenaire Fred (Josh Ruben, comédien et auteur ici devant et derrière la caméra). Fred, cinéphile fan d’horreur, est venu se « ressourcer » dans un cabanon isolé pour mettre en œuvre son grand objectif de vie : écrire le roman de loup-garou qui le rendra riche et célèbre. Cinéphile et sérivore, Fred accueille sa voisine d’écriture à l’occasion d’une panne de courant : exubérante et sûre d’elle, Fanny veut profiter de la nuit qui s’annonce pour tester Fred, mettre à l’épreuve son imagination et son sens du récit. Il faut raconter chacun son tour une histoire pour foutre les jetons à l’autre, et avec la manière. À ce petit jeu, Fanny a quelques longueurs d’avance et Fred un problème urgent d’égo à gérer…
Impros au coin du feu
Raconter des histoires qui font peur au coin du feu, c’est généralement le point de départ d’un bon vieux film à sketches, ce que n’est pas du tout, contrairement aux apparences, Scare Me. Josh Ruben tient le pari d’un film « frissonnant » qui se base uniquement sur le pouvoir de la parole. Tout sauf statique, sa mise en scène est ici l’aide de camp officiel de deux personnages qui vont interpréter, au sens théâtral du terme, des work in progress empruntant aux classiques du genre horrifique. Un récit de vengeance et de loup-garou donc (clin d’œil amusant, le film suivant de Ruben est justement… un film de loup-garou, Werewolves Within), un papy vicieux revenant hanter sa petite-fille, une troll poussant au meurtre, une chanteuse possédée par le diable… Autant de saynètes, et c’est là le génie de l’affaire, découpées et mises en musique comme s’il s’agissait de véritables court-métrages, mais réduites à l’écran à un décor de cabane et à deux comédiens / personnages en pleine performance dramatique. Ce que promeut Scare Me, c’est le pouvoir de l’imagination, de l’inconscient collectif, qui peut conjurer sans aucun budget les images et les récits les plus fascinants. Et qu’importe la chute : le point commun de toutes ces histoires improvisées est qu’elles n’auront pas de véritable fin. « Je ne veux pas des idées », lance Fanny, « je veux des histoires. Qu’est-ce que ça raconte ? »
« Scare Me explore de multiples pistes thématiques avec un sens aiguisé du détail qui fait mouche.. »
L’aspect mise en abyme, je-détruis-le-quatrième-mur, d’un film comme Scare Me pourrait le réduire à un exercice de petit malin. Ruben est pourtant plus subtil qu’il en a l’air dans son écriture. Au-delà du name dropping et des références incessantes que Fanny et Fred se lancent au débotté, au-delà des révérences à Stephen King, son œuvre et même ses leçons d’écriture (certaines de ses maximes sont littéralement citées dans les dialogues), Scare Me explore de multiples pistes thématiques avec un sens aiguisé du détail qui fait mouche. Les détails, ce sont ce qui différencient les historiettes pleines de clichés régurgitées par l’esprit flemmard de Fred (qui avoue être plus intéressé par le cinéma que par la littérature, ce qui explique en partie son problème de page blanche), de celles de Fanny, obsédée par son carnet de notes et les idées qu’elle y écrit avec rigueur. Le film pilonne sans ménagement son protagoniste mâle, dont la jalousie et le syndrome de l’imposteur finissent par prendre le pas sur tout le reste – surtout après l’arrivée d’un livreur de pizza fan de Venus (Chris Redd) pressé d’entrer dans leur délire. Scare Me discute alors dans un même élan de masculinité toxique, de génération zapping préférant la gloire facile au travail ingrat, d’opportunistes et de créateurs géniaux mais fragiles, tout en nous plongeant dans un tourbillon de dialogues ciselés. Détail qui ne trompe pas, c’est lorsque le film doit trouver une chute à sa soirée de bavardages azimutés qu’il devient plus conventionnel, plus littéral. C’est une pirouette prévisible, pas honteuse non plus, qui ne ternit en rien une œuvre à l’ingéniosité et aux réflexions sur le genre stimulantes.