Séance de rattrapage : Vesper Chronicles
Proposition stimulante et frustrante de SF européenne, Vesper Chronicles offre un regard différent sur le genre post-apo.
Si les rapports multiples du Giec ne vous ont pas encore mis la puce à l’oreille, un rappel s’impose : à plus ou moins long terme, l’humanité est foutue et risque bien d’emmener la Nature avec elle dans sa chute. La course à la surconsommation et la surexploitation de matières premières pas vraiment illimitées semblent ne pas pouvoir être arrêtées alors même que les scientifiques tirent depuis quarante ans la sonnette d’alarme. Bref, tous les feux sont au rouge et en cela, la vision de notre avenir proposée par Vesper Chronicles, si elle relève de la science-fiction post-apocalyptique, nous renvoie un écho particulièrement saisissant de notre époque.
Un futur génétiquement (trop) modifié
Le deuxième long-métrage du duo franco-lituanien Bruno Samper et Kristina Buozyte après Vanishing Waves (2012) se situe dans un futur indéterminé, dans lequel les écosystèmes se sont effondrés suite aux expériences scientifiques humaines et au déploiement incontrôlé de bio-virus. Les ressources se sont taries et les survivants se répartissent désormais entre factions retranchées dans des citadelles et laissés-pour-compte cherchant de quoi subsister dans des sous-bois où fermente une Nature génétiquement modifiée. Au cœur de cet environnement hostile et aride, Vesper (Raffiella Chapman), une jeune ado, lutte pour trouver de quoi soigner et nourrir son père malade, Darius (Richard Brake). Lorsqu’un aéronef s’écrase près de leur abri, elle se retrouve à sauver l’une des passagères, Camelia (Rose McEwen), qui tentait de quitter la Citadelle. Elle entrevoit en elle la possibilité de pénétrer dans cette forteresse des puissants, avec dans ses bagages des semences révolutionnaires…
« Vesper Chronicles fait des merveilles avec ses maigres deniers. »
Le long carton introductif est un indice de la précision avec laquelle les réalisateurs de Vesper Chronicles ont bâti leur univers. En gestation depuis six ans, cette production européenne de science-fiction repose certes sur un budget réduit (autour de 5 millions d’euros) mais cela ne bride en rien ses géniteurs et leur volonté de construire une vision cohérente, foisonnante, sous influence également (de la BD franco-belge à Miyazaki en passant par Avatar ou même, de façon sûrement involontaire, Moon et Mortal Engines). Chaque nouveauté, chaque idée étrange représentée à l’écran ou introduite dans les dialogues stimule l’imagination du spectateur. Tiens, mais les arbres respirent ? Comment le cerveau du père de Vesper, hébété et prostré dans son lit, peut-il se transporter dans le drone en ferraille qui l’accompagne partout ? Qui sont ces pauvres hères masqués transportant de la ferraille à travers champs ? Quel rôle jouent les Jug, clones créés dans les Citadelles ? Pourquoi les enfants donnent-ils leur sang au brutal Jonas (Eddie Marsan), sorte de Fagin bouseux régnant sur une tribu de gamins désœuvrés ? Tout n’est pas explicite, mais tout est intrigant, surprenant, à la fois logique et totalement étranger à notre propre monde.
Chroniques d’une inévitable frustration
Vesper Chronicles demande une participation active de son public, invité à se perdre dans des sous-bois aux mille dangers, où se concentre l’action du film. Bien qu’il fasse des merveilles avec ses maigres deniers, en utilisant judicieusement le money shot ou en concentrant ses effets spéciaux sur de courtes scènes-clé (les SFX en dur ont été privilégiés et ça se sent), le long-métrage doit aussi calculer ses ambitions en fonction de ses moyens. Le scénario ressemble ainsi à une longue introduction pour une saga qui déploierait ses ailes dans les chapitres suivants – difficile sinon de justifier l’emploi du terme « chroniques ». La frustration fait partie intégrante de l’expérience, l’intrigue s’efforçant de nous guider vers un climax inévitable (la fuite vers la Citadelle) pour mieux prendre des chemins de traverse. L’idée des graines « fertiles » (par opposition aux graines « éphémères » dont les maîtres des forteresses se sont appropriées la fabrication) que Vesper développe dans son coin prend par exemple une importance prépondérante, jusqu’à porter le message écologiste engagé de ses auteurs – partageons les ressources et mort au capitalisme !
Outre cette sensation d’inachevé à laquelle il est impossible d’échapper (Samper et Buozyte ont envisagé une, voire plusieurs suites, mais parviendront-ils seulement à les financer ?), le film pâtit également d’une interprétation qui manque de chair. L’androgyne Rafiella Chapman et la blanchâtre Rosy McEwen ne déméritent pas, mais leurs prestations sans relief particulier peinent à convaincre, et le décor qui les entoure finit même par les éclipser. Gageons qu’un hypothétique Vesper Chronicles 2 pourrait leur donner l’occasion de transcender leur rôle une bonne fois pour toutes !