Nanny : la nounou a des visions

par | 6 février 2023

Nanny : la nounou a des visions

Déracinement et choc des cultures sont au menu de l’inégal Nanny, drame social teinté de fantastique primé à Sundance.

Évacuons d’emblée une idée reçue, qui n’a rien d’un reproche, mais doit servir d’avertissement pour les spectateurs attirés (ou repoussés !) par la mention « Blumhouse » en ouverture du film. Nanny n’est pas, contrairement à qui a été répété au moment du Festival de Sundance 2022 – d’où le film est reparti avec le Grand Prix – un film d’horreur. Il se qualifie même à peine pour être un film fantastique. Ce qui ne veut pas dire que l’angoisse, diffuse, entêtante, ne plane pas sur ce premier long-métrage de Nikyatu Jusu, qui a développé ce projet avec l’aide… du Sundance Film Institute. Nanny est avant tout un portrait de femme, de mère, en plein désarroi, une étude socio-culturelle du déracinement et du sentiment de vide, voire d’injustice qu’il génère – le tout baigné dans un mysticisme qui singularise le film à la manière du similaire et bien plus horrifique His House.

Non, mais j’hallucine

Nanny : la nounou a des visions

Aisha (Anna Diop, vue également dans Us), enseignante sénégalaise émigrée à New York, qui devient nounou de la fille d’un riche couple blanc (Michelle Monaghan et Morgan Spector) de la Big Apple. Il faut mettre de l’argent de côté pour faire venir son propre fils, laissé aux soins de sa cousine au pays, en Amérique. Cette absence hante Aisha, qui doit composer en plus avec le strict cahier des charges de ses employeurs, dont le chic intérieur contraste avec leur humeur maussade et fuyante. Avec la petite fille, puis grâce à une rencontre amoureuse impromptue, Aisha s’épanouit un peu. Mais elle est assaillie par des hallucinations suffocantes, de plus en plus régulières. Un esprit peut-être extirpé du folklore sénégalais semble la hanter, menaçant de lui faire perdre pour de bon pied avec la réalité…

« Le thème de l’émigration est abordé ici
sans emphase ou misérabilisme. »

Il y a, inévitablement, un petit parfum de Get Out, production Blumhouse, mais aussi du moins connu Master, visible sur Prime Video, dans l’histoire de Nanny. Impossible de taxer sa metteuse en scène d’opportunisme. Originaire de Sierra Leone, Nikyatu Jusu a plusieurs fois travaillé dans ses courts le thème de l’émigration, et il est abordé ici sans emphase ou misérabilisme. Loin d’être une victime passive, Aisha est une femme décidée, travailleuse, jamais déférente, qui prend soin de ne pas être rabaissée par l’attitude gentiment paternaliste du couple (de plus en plus pathétique) qui l’emploie. Ce fossé culturel crée une tension qui contraste avec les scènes intimistes plus chaleureuses où Aisha tombe amoureuse du gentil Malik (Sinqua Walls) et celles, plus stressantes, où elle est sujette à des visions violentes. Une sirène dans l’East River, des araignées, une cascade d’eau dans la chambre, un miroir récalcitrant… Nanny est une véritable succession de moments « Ouf, ce n’était qu’un rêve » ; des moments qui ont bien sûr un sens – que l’on comprend environ une heure avant l’héroïne. Ce côté répétitif, évident, un peu « tout ça pour ça » jusque dans sa fin bâclée, handicape plus qu’il ne transcende un drame modeste surtout marqué par la performance très authentique d’Anna Diop.