Séance de rattrapage : X
Ti West signe avec X un retour remarqué à l’horreur, arrosée ici d’une sacrée tension sexuelle et d’une vraie performance d’actrice.
C’est peu dire que Ti West a imposé sa marque sur le film de genre il y a plus d’une décennie, au moment d’enchaîner The House of the Devil et The Innkeepers. Nageant à contre-courant d’une production horrifique vautrée dans les remakes sans imagination et les hommages stériles, le réalisateur a livré deux modèles de séries B à la fois conscientes de leur héritage, ludiques et emplies d’une confiance qui masquait leurs petits défauts de conception. Deux perles confidentielles et puis rien ou presque, à part le found footage The Sacrament (toujours inédit en France) : West a fait l’acteur, réalisé un western malmenant aussi le genre pour Jason Blum (In a valley of violence) et trouvé refuge dans les séries TV. L’appel de l’horreur a toutefois été le plus fort : en écrivant et réalisant pour le compte d’A24 ce X remarqué (en plus de réaliser en secret sa préquelle Pearl), Ti West est revenu à ce qu’il sait faire le mieux. X tutoie les hauteurs de ses deux petits classiques, en détournant les attentes pour installer une ambiance creepy et des performances majuscules.
S’il y a une chose qui caractérisait The House of the Devil et The Innkeepers, c’était la qualité d’écriture de ses deux héroïnes : ce n’est pas un hasard si Jocelin Donahue et Sara Paxton y ont trouvé le rôle le plus célébré de leur carrière. Les personnages féminins chez West ont cette qualité d’échapper aux caractérisations faciles, et c’est encore le cas dans X, slasher « d’époque » avec un casting choral fonctionnant comme une véritable petite troupe, mais d’où se détache en deux bobines le personnage de Maxine (Mia Goth, véritable révélation). Une actrice de films porno qui rêve de têtes d’affiche en cette année 1979, alors que ce genre et celui de l’horreur sont sur le point de connaître un coup d’accélérateur grâce au marché de la vidéo.
Journée de vice, nuit de violence
Ce sont ces deux ambiances que X entrecroise avec malice, en catapultant dans une propriété rurale non loin de Houston l’équipe de tournage de Maxine (le « x » n’étant pas un hasard) et son compagnon Wayne (Martin Henderson), proprio de strip-club voulant surfer sur la vague des films porno à petit budget. Un couple d’acteurs chauds comme la braise et un autre de techniciens un peu nerd complètent cette équipée cochonne – des citadins aux mœurs légères que voit d’un mauvais œil le propriétaire du chalet où ils tournent, un effrayant vieux débris et son élusive épouse, Pearl, jouée, et ce n’est pas un hasard… par Mia Goth, après quelques heures de maquillage.
« Le film soigne les interactions entre ses personnages pour les rendre plus attachants, tout en ménageant des montées de tensions progressives. »
Moins opératique et grandiloquent qu’un Ari Aster (pour rester dans la maison A24), Ti West n’en est pas moins un cinéaste qui opère à son propre rythme. X ne déroge pas à cette règle : avant de dérouler son programme horrifique, le film prend le temps de construire une galerie de personnages crédibles, de soigner leurs interactions pour les rendre plus attachants, tout en ménageant des montées de tensions progressives – la première étant son ouverture en flash-forward, que d’autres auraient pu ruiner mais qui sème ici indices et points d’interrogation pour mieux capter l’attention. Le réalisateur, quand il ne multiplie pas les jump cuts à la Godard (cité par son nigaud de réalisateur) comme pour pirater lui-même sa mise en scène, s’amuse du côté exploitation sexy avec son pastiche de film X ringard, constituant le premier acte d’un film scindé en deux périodes, comme Halloween. Passées les frivolités d’une journée baignée de soleil et de sexe, place la nuit venue à la violence froide et à sauvagerie dérangeante.
Mort aux peaux douces
À la manière d’un slasher d’antan punissant ses frivoles victimes (l’ombre du Tobe Hooper de Massacre à la tronçonneuse et du Crocodile de la mort surplombe tout du long le film), X se montre sans pitié avec son casting, West ménageant des mises à mort surprenantes et brutales. L’astuce, c’est que nos héros sont moins punis pour leurs mœurs, que pour ce qu’ils représentent d’une jeunesse perdue pour Pearl, personnage là aussi plus profond et déstabilisant qu’il n’y paraît. L’énergie sexuelle, les corps lisses, musculeux qui débarquent dans la vie de recluse de ce qu’on devine être une ancienne vedette de music-hall déçue par son destin (un miroir, donc, de la jeune Maxine), hystérisent autant qu’ils excitent, de manière primale, la vieille femme. Puritanisme extrême (voir cette télé évangéliste allumée à tout bout de champ – et qui révèle son importance dans un petit twist assez finaud) et jalousie morbide s’entremêlent jusqu’au malaise, X commentant en creux notre époque de jeunisme à tout crin, effrayée par ce qu’il advient de notre corps, de nos aspirations, quand tout est derrière nous. Que West compte à la fois reculer dans le temps pour suivre les jeunes années de Pearl, tout en clôturant sa trilogie avec la suite des mésaventures de Maxxxine est la cerise inattendue et excitante sur le gâteau.
Un mot pour finir sur l’édition vidéo de X, qui après un timide passage en salles (ce n’était pas gagné d’avance, toutefois), se découvre modestement à travers quelques bonus comme un making-of – visible également sur YouTube en VO – et un time lapse détaillant le gros travail de transformation de l’actrice Mia Goth, qui a sans aucun doute trouvé, elle aussi, le(s) rôle(s) de sa vie en travaillant avec Ti West.