Le succès d’audience et critique de la série HBO True Detective ne laisse pas indifférent de l’autre côté de l’Atlantique aussi. Le succès de la masterclass naturellement ultra bookée de son showrunner, Nic Pizzolatto, qui s’est déroulée le 23 avril au Forum des Images dans le cadre de la 5e saison du Festival Séries Mania, n’a rien d’étonnant. Aux antipodes des hommes de télévision habitués à faire littéralement le show avec humour et autodérision, cet adepte de Nietzsche est revenu avec précision, intensité et sérieux sur le travail d’écriture des huit épisodes de la première saison. Philosophie, 7e art et polars ont constitué le programme de cette conférence autour d’un romancier et scénariste qui respire sa série par tous les pores de sa peau.
Interrogé par Pierre Serisier (Le Monde des Séries), le jeune homme, pur enfant de Louisiane, s’est plié de bonne grâce au jeu des questions-réponses. « Au lycée, raconte Nic Pizzolatto, je dessinais et je peignais, j’ai souhaité devenir écrivain. J’ai fini barman pendant cinq ans ! » Cet ancien professeur d’université a signé également les scénarios de deux épisodes du thriller The Killing (le remake US de la série danoise). Il rencontre le succès en 2010 avec un deuxième roman Galveston (Prix du premier roman étranger). « Je n’apprécie pas de genre en particulier. Mais il se trouve que True Detective conserve des similitudes avec le polar. […] Je savais que personne n’allait me laisser réaliser une série à propos de deux hommes qui roulent et qui parlent, alors, j’ai ajouté un meurtre. (rires) »
La recette du succès
L’histoire de la série True Detective reste un cas exemplaire et rencontre un succès somme toute logique. Mélangez un brillant scénario, inspiré des plus beaux polars, ajoutez deux acteurs de cinéma (Matthew McConaughey et Woody Harrelson, excusez du peu), une ambiance mystérieuse et mystique, une mise en scène inspirée et hypnotique (le quatrième épisode se conclut avec un plan-séquence désormais fameux), diffusez sur la chaîne prestigieuse HBO et vous obtiendrez une machine à succès qui ressemble davantage à un film de huit heures réalisé pour le cinéma, avec une vraie fin, qu’à une série. « À l’été 2010, raconte Nic Pizzolatto, mon livre venait de sortir et j’avais des propositions de studios. Je cherchais désespérément à sortir des chemins balisés. Avec Les Sopranos, Deadwood et The Wire, je savais que la télévision américaine me conviendrait en terme de qualité.[…] J’ai écrit un début de roman, qui ressemble au premier épisode de True Detective. Il m’a semblé que la télévision était le média le plus pertinent pour cette histoire. J’ai vendu plusieurs de mes scénarios, mais j’ai gardé True Detective de côté jusqu’à ce que je sache comment écrire un scénario de série. »
Un acteur décisif
[quote_center] »J’ai choisi Matthew en raison de sa manière de jouer très intense et aussi en raison de sa stature très mâle, très physique. »[/quote_center]
Le casting quatre étoiles s’est profilé un peu par hasard, par chance. « Dès que Matthew McConaughey a lu le scénario, se souvient Nic Pizzolatto, il voulait jouer Rust Cohle. Nous avions déjà Woody Harrelson dans notre short list. C’est Matthew lui-même qui nous l’a proposé. « Vous avez pensé à Woody ? ». Nous lui avons répondu, oui, et comme il était son ami, peut-être pourrait-il le convaincre de prendre le rôle de Martin Hart. À ce moment-là, nous avions un projet bien bâti avec moi comme showrunner, un réalisateur (Cary Joji Fukunaga, Sin Nombre) et deux grands acteurs. Si vous créez une série policière, que vous avez Matthew McConaughey et Woody dans votre casting, vous parvenez à convaincre la chaîne les doigts dans le nez ! »
Sur l’interprétation de Matthew McConaughey, Nic Pizzolatto semble pleinement conquis : « D’autres acteurs semblaient trop cérébraux. J’ai choisi Matthew en raison de sa manière de jouer très intense et aussi en raison de sa stature très mâle, très physique. Cohle est tellement étrange que vous oubliez totalement le bel acteur qui l’interprète, car qu’il s’enfonce tellement profondément dans son rôle. »
Des techniques de cinéma
Contrairement au fonctionnement habituel d’une série, True Detective a été, fait rare, entièrement réalisé par une seule personne, Cary Joji Fukunaga. Bien que Nic Pizzolatto soit resté ses côtés sur le plateau durant le tournage et qu’ils aient travaillé main dans la main, un seul et même réalisateur met en scène les huit épisodes. Bien que ce procédé prenne davantage de temps, il apporte une certaine continuité à la saison et il a beaucoup aidé les acteurs dans leur interprétation. « Cela ressemble à un petit film indépendant, estime Nic Pizzolatto. Nous ne reproduirons pas cette expérience la saison prochaine, car elle nous a obligé à attendre la fin du tournage entier avant de monter et à nous reposer uniquement sur le scénario, sans vérifier le résultat. »
Aux racines du buddy movie
Nic Pizzolatto souligne la complémentarité entre les deux policiers, qui évoque consciemment le buddy movie, et rappelle que True Detective est avant toute chose et comme son nom l’indique, un polar pur jus. Comme le fait remarquer très justement Rust Cohle à Martin Hart au détour d’un épisode, chacun d’eux ne peut exister sans l’autre. « Without me, there is no you. » Nic Pizzolatto estime que ses deux personnages « s’imprègnent mutuellement. Bien qu’ils finissent par se séparer, ils sont les seuls à véritablement se connaître et se comprendre vraiment de par ce qu’ils ont vécus. Et une telle complicité reste rare. »
Les origines du mal
Pour True Detective, le romancier imagine un monstre très original, terrifiant et froid avec un masque à gaz sur le visage et une machette à la main. Nous nous trouvons aux antipodes d’un Hannibal Lecter ou d’un « Jack » de Profiler. « Il ne s’agit pas d’imaginer un maître du crime. Les criminels trop élaborés me semblent irréels. Là, le monstre est simplement décrit comme réel , il dispose d’une personnalité plus unique, et laisse le loisir au public d’imaginer le style de vie qu’il doit avoir. »
Côté inspiration, Nic Pizzolatto picore de passionnantes références à des auteurs tels que Robert W. Chambers (Le Roi Jaune), H.P. Lovecraft, Ambrose Bierce (Un habitant de Carcosa) ou encore à Joseph Conrad. Par la voix de Rust, le romancier exprime des théories philosophiques poussées, via des tirades surréalistes comme « I get a bad taste in my mouth out here… aluminum… ash… I can smell the psychosphere. ». Il affirme avoir voulu décrire une sorte d’horreur cosmique appliquée à la théorie de Nietzsche du temps qui avance en cercle. Les meurtres eux-mêmes ressemblent à des rituels sataniques. Nic rattache volontiers la structure de son histoire à la « Divine Comédie de Dante. Dans le sens où Rust et Martin plongent peu à peu vers les sept cercles de l’enfer, représenté par une clairière circulaire, où ils découvrent d’horribles personnages. »