Small Town Crime : du néo-noir comme on en fait plus (assez)
Sorti discrètement sur Netflix, Small Town Crime offre à John Hawkes un rôle familier de privé alcoolique, pour une « pulp fiction » solidement carrossée.
Le mode de fonctionnement de Netflix, avec son algorithme privilégiant régulièrement les recommandations de productions « maison », est parfois injuste avec certains films, qui continuent de passer sous le radar des abonnés des mois après leur mise en ligne. On vous pardonnera ainsi de ne pas avoir noté la sortie en mars dernier de Small Town Crime, mis en ligne sans tambour ni trompette après une microscopique sortie en salles outre-Atlantique. Quatrième long-métrage d’un duo de réalisateurs jusqu’alors inconnus, ce thriller coproduit par l’actrice Octavia Spencer (Les figures de l’ombre) aligne au générique une bonne poignée de comédiens connus du public, et remet au goût du jour des clichés antédiluviens du néo-noir plutôt réservés aujourd’hui à l’univers des séries télé badass à la Justified ou Banshee. Le film est surtout un écrin de choix pour un formidable John Hawkes, habituellement le spécialiste des seconds rôles qui marquent les esprits (de Winter’s Bone à Three Billboards en passant par Lincoln et Martha Marcy May Marlene, son palmarès est impressionnant) et ici libre de rejouer à sa façon le rôle du privé alcoolique lancé dans une enquête insoluble, dont le bagout et l’apparent détachement sont ses meilleures armes.
No country for old drunks
Physique émacié, cynisme en bandoulière, et cette lueur dans le regard qui nous dit d’emblée tout sur la noblesse de caractère d’un héros en perdition et en quête de sens : Hawkes incarne dès les premières minutes à la perfection Mike Kendall, ancien officier de police ayant plongé encore plus dans l’alcoolisme après avoir perdu son job dans des conditions dramatiques. Après une nuit passée ivre mort dans sa voiture en plein champ, Mike croise une jeune femme battue à mort sur le bord de la route. Elle décède après qu’il l’ait amenée à l’hôpital, et Mike se retrouve en possession de son téléphone. L’adrénaline du métier recommence à l’habiter, et l’ex-flic se transforme en privé à la petite semaine, déterminé à enquêter sur les circonstances de ce crime odieux. Sur son chemin, Kendall va croiser un père endeuillé mais revanchard (Robert Forster), un mac plus malin que la moyenne (Clifton Collins Jr.), des inspecteurs suspicieux et un duo de tueurs à gages aussi lugubres que brutaux. De quoi l’éloigner encore un peu plus des seuls amis qui lui restent : sa sœur adoptive Kelly (Octavia Spencer) et son beau-frère et compagnon de biture Teddy (Anthony Anderson)…
Small Town Crime se déroule dans l’Utah, mais en vérité, la bourgade dans laquelle Kendall trimballe son mal-être pourrait se situer partout dans ce centre désertique des USA. Plus qu’un décor, c’est un feeling que recherchent ici les frères Nelms, qui adaptent aux grands espaces la trame linéaire et les personnages au bord de l’abîme que chérissent des Raymond Chandler et des Elmore Leonard. On cause beaucoup rédemption dans Small Town Crime, qui malgré la richesse et la profondeur de son casting, est avant tout l’origin story d’un solitaire qui démarre ses journées de perdition par un peu de fitness et beaucoup de bières. Un privé qui s’ignore et qui entrevoit dans un coup du destin l’occasion de rallumer la flamme du devoir, même si cela signifie que les balles vont siffler et que le sang va couler. Et de ce côté-là, le film n’y va pas de main morte, puisque tous les protagonistes hauts en couleur de ce scénario retors, vont d’une manière ou d’une autre en prendre pour leur grade avant que justice soit rendue.
Les balles sifflent, les blessures restent
Là où les réalisateurs font preuve de clairvoyance et de maturité, c’est dans la certitude qu’ils apportent au spectateur que ces blessures resteront gravées dans la chair de ses héros. Small Town Crime a beau naviguer dans le néo-noir rondement mené façon Taylor Sheridan, avec ses poursuites sous le soleil et ses fusillades tactiques, il ne pousse pas la familiarité jusqu’à offrir un happy end tranquille à Mike Kendall, que ses auteurs envisagent comme un croisement entre Columbo et l’inspecteur Harry (malgré le fait qu’il conduise une Chevy échappée de Bullitt et filmée sous toutes ses coutures avec une fétichiste dévotion). Tout n’est pas résolu d’une balle magique ou d’une revanche menée à son terme, et la vie doit continuer avec ce même sentiment de destins gâchés et de violences traumatisantes chevillé à l’esprit des survivants. Malgré ce fatalisme ambiant, et un épilogue un peu roublard qui détone avec l’ambiance générale, Small Town Crime a tout du petit polar modeste qui en donne plus que pour son argent, grâce à son étonnante galerie de personnages (Forster et Collins Jr., des vétérans du genre, travaillent une étonnante alchimie dans le dernier acte) et un acteur principal qui se voit donner toute latitude pour laisser exploser son talent et nous guider dans les bas-fond d’une ville à la fois familière et fantasmatique.