La Part Obscure : cécité et coups de théâtre

par | 4 juillet 2018

Désormais loin de Game of Thrones, Natalie Dormer joue les aveugles mystérieuses et sexy dans La part obscure, vraie réussite dans le genre du thriller à twist.

De Terreur aveugle à Blink en passant par The Eye, Seule dans la nuit et l’inédit All I see is you, les films mettant en scène des femmes atteintes de cécité sont légion. Ils tournent généralement autour de personnages supposément fragiles mais qui se découvrent face au danger des ressources insoupçonnées. Avec La part obscure, co-écrit par Natalie Dormer (la Margaery Tyrell de Game of Thrones, que l’on reverra aussi prochainement dans l’adaptation télé de Pique-nique à Hanging Rock) et son compagnon Anthony Byrne, réalisateur connu pour sa participation aux séries Peaky Blinders et Ripper Street, cette thématique familière et toujours intrigante est appliquée à un thriller londonien plus malin et mieux emballé que la moyenne. Et qui, on le comprend dès son entame malicieuse, possède un goût prononcé pour les twists plus ou moins vraisemblables.

La Part Obscure débute par un clin d’œil (inconscient ?) à Blow Out, avec une scène de meurtre qui se révèle être une projection de film, sur lequel un orchestre enregistre une bande originale au diapason – c’est-à-dire menaçante et dissonante. C’est là que l’on fait la connaissance de Sofia (Dormer), pianiste aveugle au calme olympien, qui vit sans encombres dans la mégapole londonienne. Plusieurs montages rapides illustrent sa routine et son quotidien, brutalement perturbé lorsqu’elle devient le témoin auditif de la mort de sa voisine, Veronique (la top model Emily Ratajkowski, en mode femme fatale déglinguée) tombée par la fenêtre. Meurtre, suicide, accident ? La police mène l’enquête, mais Sofia, qui s’est brièvement liée d’amitié avec la victime, se retrouve directement liée à l’affaire. Il s’avère que Veronique était la fille d’un homme d’affaires serbe accusé de crimes de guerre, Zoran Radic (Jan Bijvoet). Celui-ci est obsédé par un objet que sa fille cachait chez elle et charge le mystérieux Marc (Ed Skrein) et sa sœur Alex (Joely Richardson) de suivre Sofia, voire de l’éliminer si besoin…

Voir au-delà des apparences

Au milieu de la vague de films à suspense ciblant ouvertement le public ado qui pullulent sur Netflix (l’horrible The Open Housevient à l’esprit), La Part Obscure, sorti en salles outre-Manche, fait un peu figure de perle rare. Tourné entièrement en décors réels par une équipe soudée autour de son couple d’auteurs, le film d’Anthony Byrne est agréablement sophistiqué et s’autorise de multiples mouvements d’appareil, jeux sur le sound design et la profondeur de champ, ainsi que des plans-séquences acrobatiques (dont un, circulaire, dans l’espace exigu d’une camionnette), qui tirent forcément parti du handicap de Sofia. Une proie en puissance pas si aisée à duper, dont le passé et les motivations constituent la base des révélations ménagées par un script d’autant moins prévisible qu’il n’hésite pas à lancer le spectateur sur quelques fausses pistes – des flash-backs qui semblent au départ flirter avec la prescience surnaturelle, un meurtre qui n’en est peut-être pas un, ou cette clé USB servant de pur McGuffin.

Avec sa silhouette élancée, un brin glaciale, et ses grands yeux de biche, Natalie Dormer n’a aucun mal à jouer cette héroïne évoluant dans plusieurs registres complémentaires, de la fragilité inquiète à la froide détermination en passant par l’abandon passionnel. Et ce même si ce personnage ressemble finalement à une marionnette balancée d’un extrême à l’autre au gré des besoins du scénario, une poupée russe qui n’en finirait pas de révéler des dimensions cachées, jusqu’à la plus inattendue (ou absurde, suivant votre niveau de tolérance aux coups de théâtre). À ses côtés, Ed Skrein, un ancien de Game of Thrones lui aussi, joue les âmes solitaires tourmentées avec conviction, tandis que sa partenaire Joely Richardson (Nip/Tuck, Red Sparrow) dévore l’écran à chacune de ses apparitions. Inquiétant étranger dans Borgman, l’acteur belge Jan Bijvoet se taille enfin la part du lion dans le rôle d’un chef de clan ultra-glauque, ayant une faiblesse coupable (tiens, tiens) pour les femmes aveugles et donc sans défense. Ce croquemitaine sans remords et le spectre des abjections de la guerre civile qui l’accompagne, finit de projeter La Part Obscure dans la dimension du thriller d’exploitation qui tire sa révérence au genre, sans honte mais avec assurance. Définitivement le haut du panier dans sa catégorie sur Netflix.