Space Sweepers : un nouvel espace à conquérir
Privé de salles dans son pays, Space Sweepers atterrit sur Netflix pour faire briller les couleurs du space opéra à la sauce coréenne. Pari réussi ?
Ce n’était qu’une question de temps avant que la Corée du Sud, à qui rien ne fait peur cinématographiquement, s’attaque avec les armes adéquates à un genre restant la chasse gardée du tout-Hollywood ces dernières décennies en live action, malgré de rares incursions chinoises : le space opera. Initialement prévu dans les salles coréennes l’été dernier, Space Sweepers a été repoussé plusieurs fois à cause du Covid, dans l’espoir d’atteindre comme prévu le grand écran et pourquoi pas de relancer le box-office local mis à mal par la pandémie. Hélas, les producteurs du film de Jo Sung-hee (A werewolf boy, Phantom Detective) ont fini par entendre l’appel sonnant et trébuchant de Netflix, qui a racheté les droits d’exploitation mondiale du titre. Une vraie déconvenue, tant Space Sweepers hurlait à chaque plan en CGI et péripétie cosmique son ambition de damer le pion à la concurrence et à en mettre plein la vue.
Les éboueurs du cosmos
Depuis sa sortie, Space Sweepers a beaucoup été comparé aux Gardiens de la Galaxie, et il faut dire qu’à première vue, cette référence facile n’est pas si volée. Dans un futur raisonnablement lointain, la planète Terre est devenue pratiquement irrespirable et baigne dans des nuages de pollution orange dont Roger Deakins serait fier. Comme dans Elysium – auquel on pense instantanément -, la population s’est déplacée dans l’espace, devenu une ceinture d’aéronefs, de stations de fortune et d’épaves volantes au cœur de laquelle se situe également un vaisseau-monde high-tech, un paradis pour les 1 % reproduisant les conditions terrestres d’antan, attendant que Mars soit terraformée pour leur plaisir. C’est dans cet univers que survivent nos héros, quatre membres d’un équipage bigarré faisant leur beurre en revendant les débris de l’espace sur lesquels ils mettent littéralement le grappin : un ancien soldat traumatisé par la perte de sa fille, une capitaine bravache, un ex-chef de gang à la grande gueule, un robot avare et blasé cherchant une nouvelle peau. Leur quotidien est bouleversé le jour où ils récupèrent dans un vaisseau abandonné une petite fille recherchée dans toute la galaxie, présentée comme une arme redoutable…
« Space Sweepers en met souvent plein les yeux. »
Plus que le hit auto-satisfait de Marvel, Space Sweepers a, cela ce voit vite en découvrant cet univers particulièrement riche et détaillé, plus à voir avec la série animée japonaise Cowboy Bebop. Le film de Jo Sung-hee a beau se dérouler loin au-dessus du plancher des vaches, à l’intérieur de bases militaires hi-tech et de déchetteries orbitales, d’extraterrestres et de planètes exotiques se croisent. Les seuls habitants de ce monde chatoyant et métallique sont des humains, tous en quête d’un avenir ou de quelque chose qui pourrait améliorer leur quotidien. Le film est une véritable cour des miracles polyglotte, où bien plus que dans un film américain, les cultures et les langues se mélangent joyeusement grâce à la technologie. Bien entendu, les Coréens ont ici le beau rôle (ils vont inévitablement sauver le monde, avec l’appui toutefois de quelques Espagnols et d’un impayable french lover) et c’est tout sauf un hasard si le méchant de l’histoire est un mogul américain sociopathe incarné par Richard Armitage (Le Hobbit), affublé d’une mutation façon japanime sans grande utilité.
Un spectacle généreux et humaniste
Il n’y a pas que dans cet artifice de scénario que Space Sweepers cligne de l’œil à la concurrence hollywoodienne. Si sa découverte sur petit écran le prive du frisson immersif qu’il revendique, ce blockbuster décomplexé démontre une maîtrise assez impressionnante des effets spéciaux et animatroniques rehaussés par le numérique. Généreux en décors et en dogfights intersidéraux, malgré la profusion de sous-intrigues et de parcours émotionnels balisés typiques du cinéma sud-coréen, Space Sweepers en met souvent plein les yeux, qu’il s’agisse d’une bataille rangée où notre robot agile et unisexe harponne tel un diable de Tasmanie tous les vaisseaux qui l’attaquent, d’une fuite en avant au cœur d’une proto-Étoile Noire ou d’une fusillade dans une boîte de nuit futuriste. Des morceaux de bravoure qui parsèment une production travaillée par des thèmes dans l’air du temps, de la lutte des classes à l’éco-conscience en passant par un humanisme débarrassé de toute question de genre et d’origine.
Bien sûr, tout n’est pas rose dans ce film à l’humour parfois pataud (vous aimez les gags à base de pets ?) qui semble parfois trop amoureux de ses protagonistes, il est vrai plutôt attachants, et en oublie de propulser avec énergie son intrigue. Richard Armitage en fait des caisses pour faire oublier le caractère anonyme de son personnage, les invraisemblances grosses comme une exo-planète pullulent (préparez-vous à un facepalm final de compétition)… Des défauts pas si encombrants, mais bien réels, qui sont toutefois peu de choses au regard de la dimension réellement rafraîchissante du film, dont l’ambition et l’accomplissement technique sont déjà une forme de réussite en soi.