Voilà donc le dernier pari en date de Marvel Studios. Les gardiens de la galaxie, adaptation risquée d’une franchise pour le moins méconnue de la firme aux mille super-héros, promettait de propulser l’univers étendu du studio américain, littéralement, dans une autre dimension. Un pari, donc. C’était oublier un peu vite que les deux Thor, couronnés de succès, se passaient eux aussi sur de lointaines planètes, et que la menace qui pesait sur les Avengers était elle aussi, déjà, intergalactique. C’était oublier, aussi, l’appétit bien réel du public pour les space-opéras, lui qui a fait un triomphe au reboot de Star Trek et attend un genou à terre le renouveau de la franchise Star Wars. À ce petit jeu, c’est plutôt le film des Wachowski, Jupiter Ascending, qui n’est lui adapté d’aucune licence existante, qui ferait figure d’outsider fébrile, raison pour laquelle le film a sans doute été retiré de la liste des blockbusters estivaux. Mais ceci est une autre histoire.

Car, à l’heure où ces lignes sont écrites, le triomphe mondial des Gardiens de la Galaxie est la preuve qu’aucun concept lancé par Marvel sur grand écran n’est vraiment risqué. Les deux productions annuelles réglementaires sont désormais des rendez-vous aussi attendus que contrôlés, aussi pétaradants que similaires sur bien des points. Et c’est triste à dire dans le cas des Gardiens, blockbuster sous haute influence Lucas Arts / Amblin, à la bonne humeur portée en étendard, mais enterrée sous des tonnes de contingences scénaristiques et de dérision post-moderne. En clair, voilà un film au capital sympathie invraisemblable qui échoue pourtant à laisser un souvenir béat faute de véritable audace. Un comble lorsqu’on sait que ses deux meilleurs personnages sont un raton laveur génétiquement modifié et un Ent, pardon, un arbre parlant.

Les aventuriers de l’Orbe retrouvée

Les gardiens de la galaxie : trop de cool tue le cool

Rocket Racoon et Groot, donc, ne sont que deux des protagonistes d’une saga spatiale tournant principalement autour de Peter Quill, alias Star-Lord, simple humain (enfin…) arraché à sa planète natale dans les années 80 par un mercenaire nommé Yondu (excellent Michael Rooker), et devenu une sorte de simili-Han Solo sillonnant la galaxie en quête d’objets précieux et marchandables. Tout le scénario des Gardiens tourne autour d’un de ces artefacts que Quill récupère au terme d’un générique singeant le rythme et pratiquement aussi la typographie des Aventuriers de l’arche perdue (tout cela après un prologue inhabituellement chargé en émotion pour du Marvel, qui évoque lui une version tragique de E.T.).

Le MacGuffin du jour, après le Tesseract des Avengers, s’appelle donc cette fois l’Orbe, et l’immense pouvoir qu’il renferme – qui permet comme d’habitude de raser entièrement des planètes, c’est pratique – attise la convoitise d’un grand méchant particulièrement théâtral, Ronan l’Accuseur, lequel envoie illico deux tueuses d’élite à ses trousses, Nebula et Gamora. Par la force des choses, cette dernière s’allie avec Peter et les deux chasseurs de primes susnommés, ainsi qu’avec un colosse revanchard nommé Drax le destructeur, pour contrer les plans de Ronan. Le tout au son d’une compilation pop et rock’n’roll que Star-Lord écoute en boucle, avec son antique walkman sur les oreilles…

Gangs d’aliens

Les gardiens de la galaxie : trop de cool tue le cool

À longueur d’interviews ou de posts sur Twitter et Facebook, James Gunn, réalisateur et scénariste biberonné au comic book et à la série B (ses faits d’arme chez Troma, sur le film de super-héros fauché The Specials ou sur son excellent Super, sont désormais connus de tous), n’a cessé ces deux dernières années de clamer son amour pour la BD remise au goût du jour qu’il a lui-même adapté – en se basant sur un premier jet complètement réécrit. Adepte du gag qui tâche, du post-modernisme et geek déclaré, Gunn avouait vivre un rêve éveillé : se retrouver à la tête d’une superproduction à 150 millions de dollars, bichonnée avec l’ardeur d’un artiste qui savoure sa chance d’être mis ainsi sous le feu des projecteurs.

[quote_center] »Les Gardiens peinent à convaincre en dépit du rythme trépidant de leurs aventures. »[/quote_center]

Le résultat final lui appartient selon lui à 100 %. Langue de bois ou sincérité naïve, ces propos font certes illusion durant le premier excellent quart d’heure du film, qui dès le premier décalage musical (notre alter ego de Han Solo se met soudain à explorer une caverne au son de sa K7 fétiche) affiche haut et fort sa note d’intention : proposer un serial potache dans l’espace qui se prend autant au sérieux que ses héros, c’est-à-dire pas énormément. Incarné avec un perpétuel sourire en coin par Chris Pratt (Parks & Recreation et bientôt Jurassic World), Star-Lord est le héros idéal d’un monde aussi coloré que fantaisiste. Avec son équipe de choc, pas si rebelle, mais véritablement complémentaire – le beau gosse, la fille sexy mais dangereuse, le petit teigneux, le simplet musclé et un grand Chewbacca -, il constitue un guide parfait pour explorer cet univers un peu fou, décliné dans les BD sous des formes (et des espèces) parfois totalement farfelues.

Les guignols de l’espace

Les gardiens de la galaxie : trop de cool tue le cool

Alors, qu’est-ce qui coince, puisque les ingrédients, la passion, le savoir-faire des infographistes de Marvel, la BO détonante, mais pertinente (son utilisation est liée intrinsèquement à l’histoire) et les personnages attachants sont au rendez-vous ? Pour faire simple, il s’agit d’une affaire d’équilibre : les Gardiens peinent à convaincre parce qu’en dépit du rythme trépidant de leurs aventures (qui explorent finalement moins de décors différents que ce qu’on aurait pu espérer), et des enjeux imposants du scénario, rien ne semble devoir être pris au sérieux dans cet univers. Quand une scène de dialogue à cinq, censée surfer sur quelques punchlines bien senties pour mieux amorcer le troisième acte, s’enferme soudain dans des commentaires méta sans fin, ou que l’intervention du grand méchant Ronan, déjà pas aidé par son grand marteau en mousse et son manque de profondeur, s’interrompt pour placer un gag lamentable, c’est qu’il y a un problème quelque part.

Tout simplement, il s’agit de masquer l’inanité d’un script photocopié sur ceux des précédents succès de la firme, où l’on retrouve une race extraterrestre lambda préparant une invasion/destruction grâce à l’aide d’un item surpuissant, des héros rassemblés par la force des choses, des personnages uniquement là pour expliquer les enjeux du film ou servir de ressort comique, et bien sûr, encore et toujours, un climax massivement destructeur, où un vaisseau énorme s’écrase dans une mégapole après une bataille aérienne. L’agencement de ces éléments, le placement même des vannes au cœur des scènes d’action, sent à chaque fois le réchauffé, comme si la folie douce inhérente à ces Gardiens un poil anarchistes (enfin, surtout Rocket, cette surprenante et adorable boule de poils à la fois cynique et existentialiste) se heurtait à chaque fois au mur du cahier des charges Marvel, qui n’aime rien tant que de proclamer son iconoclasme en conservant en sous-main les mêmes recettes.

Alors que la création d’une nouvelle franchise aussi exotique sur le papier aurait pu engendrer une merveille de film d’aventures incorrect et dépaysant, le résultat débouche sur un blockbuster trop détendu pour être honnête, trop familial pour être mémorable. James Gunn a certes du talent pour émuler l’esprit Star Wars avec une pincée de mauvais esprit à la Joe Dante, et réussit à imposer un univers cohérent en peu de temps, quitte à laisser certaines explications et introductions en suspens. Mais sa bande de gentils mercenaires de l’espace reste pour l’heure comme coincée dans les starting-blocks, dans l’attente d’une aventure qui serait enfin à la hauteur de leurs personnalités out of this world. Ça sera pour une autre suite ?


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq
Les gardiens de la galaxie (Guardians of the Galaxy)
De James Gunn
2014 / USA / 121 minutes
Avec Chris Pratt, Zoe Saldana, Lee Pace
Sortie le 13 août 2014
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