The Boys in the band : tant qu’il y aura ces hommes
Deuxième adaptation d’un classique du théâtre gay, The Boys in the band peut compter sur son casting pour transcender le côté daté et statique d’une pièce fondatrice.
Un demi-siècle s’est écoulé depuis la première représentation, off-Broadway, de la pièce The Boys in the band écrite par Mart Crowley. C’est à la fois proche, et c’est une éternité pour la communauté LGBT. Révolutionnaire pour l’époque, en ce qu’il montrait pour la première fois sans artifices, sans codes cryptés, des personnages ouvertement gays, dans toute leur complexité et leurs angoisses, The Boys in the band a fait l’effet d’une bombe, tant et si bien que Hollywood s’est emparé du texte et l’a porté à l’écran en 1970, dans un film réalisé par un certain William Friedkin, pas encore oscarisé pour French Connection. Déjà, à cette période, le vent commençait à tourner dans la représentation des gays. La révolution sexuelle et le flower power étaient passés par là, et la communauté new-yorkaise décrite par Crowley, qui devait vivre sa sexualité en secret et (souvent) dans la honte, commençait à devenir un souvenir s’éloignant dans le rétroviseur.
Cinquante ans plus tard, le revival anniversaire de la pièce (à Broadway cette fois) est l’œuvre d’un cinéaste et d’un casting ouvertement et à 100 % gay. Comme dans le film de Friedkin, l’intégralité des acteurs a repris son rôle pour l’adaptation commandée par Netflix et Ryan « j’ai carte blanche » Murphy. The Boys in the band a acquis une dimension de classique historique, une relique du passé, qui entre moins en résonance avec une nouvelle génération gay qu’elle ne sert de jalon permettant de mesurer le chemin parcouru pendant cette période. Car le réalisateur (et également acteur) Joe Mantello, s’il a modifié à bon escient le texte avec l’aide de son auteur (décédé en 2020), n’a rien changé aux codes et à l’époque de l’histoire : nous sommes de retour en 1968, à New-York, Greenwich Village, pour une pluvieuse soirée d’anniversaire entre sept amis gays et deux invités de dernière minute, qui commence de manière joviale avant de sacrément virer au vinaigre.
Au théâtre ce soir
L’hôte du soir est Michael (Jim Parsons, bien loin de la sitcom The Big bang theory qui a fait sa gloire), dandy précieux dont le catholicisme le tourmente bien plus que son niveau de vie inconscient. C’est dans son duplex orné d’un superbe toit-terrasse (le chef-décorateur a fait du beau boulot pour nous donner envie de vivre dans ce cocon coloré) que ses amis Bernard, Hank, Emory, Donald et Larry se rassemblent pour fêter l’anniversaire d’Harold (Zachary « Spock » Quinto, qui s’est fait un look mémorable de juif new-yorkais à la diction onctueuse). Tandis que tous se lamentent sur leurs allures de trentenaires/quarantenaires comme si la mort les attendait déjà, un vieil ami de Michael, Alan, débarque avec un poids sur la conscience. La soirée à base de crabes et de jazz chaloupé est prête à déraper…
« Le texte est maîtrisé à la perfection par un casting faisant corps avec l’intensité de la pièce. »
L’abondance de mini-scènes permettent de présenter dans les premières minutes chacun des personnages. Mais cela ne change pas grand-chose à l’affaire : porté entièrement par ses dialogues, son unité de lieu et d’action, The Boys in the band ne peut échapper tout au long de ses 120 minutes de métrage à cette impression d’avoir affaire à une captation multi-caméra d’une représentation de la pièce sur les planches. Mantello a fait le choix judicieux de s’appuyer sur un directeur photo expérimenté (Bill Pope, de la trilogie Matrix), qui travaille des couleurs chaudes et crée des espaces mentaux à l’intérieur de l’appartement de Michael, comme pour mieux isoler visuellement ses personnages. La mise en scène souligne par ses changements d’échelle et d’amples mouvements de caméra les multiples piques et points de bascule qui définissent la bande, au fur et à mesure que leur masque de « drama queens » (comme ils se surnomment eux-mêmes) tombent, et que les blessures de chacun d’entre eux se font jour. Mais tout cela, comme les dernières minutes qui prolongent la pièce d’origine avec un coda un peu inutile (le jour revient, la vie reprend… Des banalités absentes du film de Friedkin), reste un emballage luxueux servant de béquille au texte lui-même, maîtrisé à la perfection par un casting faisant corps avec l’intensité de la pièce.
Certes, Jim Parsons et ses compères incarnent des figures devenues clichées, de la folle efféminée à l’amant volage en passant par le père de famille (possiblement) refoulé ou l’éphèbe idiot. Mais replacé dans son contexte, et en ayant à l’esprit le caractère fondateur de cette pièce parfois drôlatique, au rythme verbal frénétique et à la progression dramatique impeccable, The Boys in the band acquiert une vraie légitimité. C’est un morceau d’histoire en vase clos, racontant les rêves d’émancipation et d’acceptation d’une communauté cloisonnée, chassant la peur par l’excentricité (il ne faut pas oublier que l’homosexualité relevait encore pour l’essentiel à l’époque de l’illégalité), ou l’angoisse de finir seul par la multiplication d’aventures sans lendemain et de fêtes entre amis devenus mesquins par la force des choses. The Boys in the band divertit, questionne et émeut aussi, fatalement, d’une manière théâtrale, et souvent schématique. C’est sa modeste ambition, et sa limite ; mais l’importance qu’il revêt pour ceux qui la portent à l’écran est palpable à chaque minute.