The Devil and Father Amorth : mon ami l’exorciste
Sur la base d’un « vrai » exorcisme filmé par ses soins, William Friedkin retourne aux sources du mythe qui a fait sa gloire. Sans réussir à nous convertir…
Si en naviguant sur Internet, vous tombez nez à nez avec un classement des meilleurs films d’horreur, on est prêt à parier un bras que vous verrez systématiquement trôner L’Exorciste sur le podium. Qu’il vous effraie ou non, le classique de William Friedkin est le long-métrage horrifique le plus populaire (et rentable, en dollars ajustés) de tous les temps. Le cinéaste, qui a fêté ses 81 ans, sait pertinemment, malgré les ressorties de Sorcerer et Police Fédérale Los Angeles, que c’est pour ce coup de maître sorti en 1974 que le grand public se souviendra de lui. Et cette prise de conscience a certainement en partie motivé la réalisation de The Devil and Father Amorth.
Possession à sensations
Après tout, L’Exorciste n’a pas seulement généré une franchise (ressuscitée sous la forme d’une série TV en deux saisons) et un sous-genre increvable : il a sublimé une mythologie chrétienne rejouant, par le biais de la possession et de l’irruption du surnaturel, l’éternel combat entre le Bien et le Mal, entre le démon et les exorcistes. Par bien des aspects, L’Exorciste a dépassé son statut de film à succès pour se loger au plus profond de notre inconscient collectif. De sorte que n’importe quel individu a aujourd’hui une idée précise de ce qu’est un exorcisme, même si cette connaissance se base intégralement sur un travail de fiction.
C’est sous cet angle qu’il faut envisager The Devil and Father Amorth. Ce documentaire est né d’un article écrit en 2016 par le metteur en scène pour Vanity Fair, après sa rencontre avec le père Gabriele Amorth. Âgé alors de 91 ans, le plus expérimenté des prêtres exorcistes du Vatican, dont le film favori est, tiens donc, L’Exorciste (il trouve cependant ses effets spéciaux « un peu exagérés ») autorise Friedkin à venir filmer l’une de ses nombreuses séances d’exorcisme en Italie. La rencontre, qui implique une architecte de 46 ans, Christina, se disant possédée par Satan, est filmée en plan-séquence avec une caméra d’appareil photo. C’est cette scène-choc, qui excite forcément notre curiosité, qui est au centre de ce documentaire et autour de laquelle ce bon vieux Bill brode comme un fou pendant 1 h 10.
William Friedkin, enquêteur de l’impossible !
On avoue être surpris par l’aspect un peu cheap de la chose, avec ses images en basse résolution et sa bande-son aussi caricaturale qu’un reportage de Zone Interdite. Jouant les présentateurs / bonimenteurs à la Pierre Bellemare avec une assurance et une sincérité teintée de roublardise, Friedkin se balade dans les rues de Georgetown sur les traces de son film et déterre des archives du regretté William Peter Blatty (l’auteur du roman L’Exorciste), histoire de bien nous mettre en condition. Il nous sert alors un chiffre-clé : 500 000 Italiens auraient déjà « subi » un exorcisme ! Le diable serait donc hyperactif chez nos voisins transalpins, fervents catholiques faut-il le rappeler. Le cas de Christina apparaît alors d’autant plus banal lorsqu’on en vient, après des interviews de ses proches, à la fameuse séquence. On y voit la jeune femme se tordre dans tous les sens sous les sermons du père Gabriele, jurer avec une voix gutturale que l’on soupçonne d’être trafiquée, tandis que ses proches prient pour son salut. Possession ? On soupçonne surtout un bon gros cas de dépression psychotique ou de personnalité dissociative, ce qu’iront prudemment confirmer les scientifiques et psychologues interrogés par Friedkin.
Avec ses effets ringards (la « reconstitution » frénétique dans l’église de campagne, grand moment qui nous rappelle la défunte émission Mystères) tentant de contrebalancer l’effet « mouais, c’est ça une possession ? » de ses images « choc », The Devil and Father Amorth tente de bâtir une réflexion sur l’existence du Mal, ou de forces surnaturelles, dans un monde devenu cartésien. Mais cet exorcisme, qui évoque plutôt une forme de thérapie religieuse par l’auto-suggestion, nous rappelle que c’est justement la science qui nous a permis en tant que société de dépasser le stade médiéval de la superstition. La foi envisagée comme une méthode de guérison est un thème passionnant en soi. Mais Friedkin semble lui plutôt guidé par le besoin de perpétuer l’imaginaire fictionnel popularisé avec L’Exorciste, en reprenant la main sur un mythe dont il est l’emblématique instigateur. Ça n’est pas un hasard si le film se termine non pas au Vatican, mais devant les emblématiques « marches de L’Exorciste » de Georgetown. C’est bien là que le monde de la fiction et celui de croyances religieuses séculaires continuent de s’entrechoquer, depuis bientôt un demi-siècle…