M. Night Shyamalan… N’en déplaise à ses fans inconditionnels, celui que la critique présentait à la fin des années 90 comme le nouveau Steven Spielberg (n’exagérons rien quand même) après son triplé Sixième Sens, Incassable et Signes, avait sombré ensuite dans une ère ennuyeuse (Le dernier maître de l’air, le surréaliste Phénomènes), voire nanardeuse à gros budget (After Earth). Une période d’abyssale médiocrité, il faut le dire, qu’il justifie par l’interférence des studios sur ses œuvres. Quoi qu’il en soit, le réalisateur américain d’origine indienne se devait désormais de démontrer qu’il savait toujours réaliser des films un tant soit peu défendables, s’il souhaitait donner un second souffle à sa carrière. Shyamalan fait en quelque sorte « amende honorable » en revenant à un genre qui l’a rendu célèbre, l’horreur, avec The Visit, et à des moyens plus modestes. S’il n’a pas été touché par la grâce, il est néanmoins salvateur qu’il fasse preuve de modestie, autant par ses ambitions que par ses choix de mise en scène.
Maman ! Mamie m’a encore réveillé cette nuit…
Night Shyamalan a envisagé The Visit après son expérience désastreuse de babysitting du bébé Smith. Pour produire son retour au film d’angoisse, il s’est logiquement tourné vers Blumhouse (Jason Blum était-il le seul à vouloir de lui ?). Cette société, soutenue par la firme Universal, produit au kilomètre des séries B à petits budgets, pour le meilleur (Insidious, Sinister, Conjuring), et pour le pire (Paranormal Activity et ses innombrables suites). Son scénario, plutôt original, résulte selon ses dires d’un réveil anesthésié après une opération du genou. L’histoire est celle de Tyler et Becca, qui partent en vacances chez leurs grands-parents, qu’ils n’ont jamais rencontré. La rencontre se passe bien jusqu’à ce que des événements étranges viennent perturber leur séjour. Aux côtés de Kathryn Hahn (Broadway Therapy, Tomorrowland), Peter McRobbie (Lincoln) et de l’exceptionnelle « mamie la flippe » Deanna Dunagan, deux jeunes acteurs australiens, Olivia DeJonge et Ed Oxenbould, de parfaits inconnus chez nous, s’en sortent avec les honneurs. Les raps rafraîchissants et inattendus du jeune Tyler apportent notamment de réelles pauses comiques, chose rare, il faut le rappeler dans le cinéma souvent moralisateur de Shyamalan.
Car, oui, pour ce possible grand cru, le réalisateur a reçu visiblement les pleins pouvoirs de ses producteurs et mène son projet à sa manière. Contrairement à ses précédents films, aucune musique extra-diégétique (c’est-à-dire extérieure à l’action) ne vient ponctuer les scènes, ce qui a pour effet de soulever une certaine inquiétude quant à la durée et au ton de chacune d’entre elles, faute de déclencher une réelle peur (chez les habitués du genre, du moins). Que ceux qui ont des haut-le-cœur à l’idée d’assister à un énième found footage, genre souvent synonyme de paresse créative, quitte à donner la nausée sur grand écran, se rassurent. Shyamalan a plié ce style à ses instincts de styliste, et opté pour un ton plus didactique et posé. La jeune Becca souhaite en effet tourner un documentaire sur ses aïeux. Les plans filmés à la caméra à l’épaule se font rares, au profit de grands plans de coupe avec une caméra posée sur un trépied, de fondus enchaînés… L’adolescente qui se substitue au réalisateur (elle fait même son montage « en direct ») maîtrise son image sans trembler, pour le plus grand bien des estomacs cinéphiles.
Grand retour, par la petite porte
La première partie du film plante le décor paisible d’une ferme en Pennsylvanie, occupée par un couple de retraités en apparence normal. Petit à petit, leur comportement soulève pourtant une certaine paranoïa chez des enfants, et par là même chez les spectateurs. Les paroles et les attitudes étranges de leurs grands-parents sont-ils simplement des signes de vieillesses handicapants, mais courants à partir d’un certain âge, ou annoncent-ils des événements surnaturels potentiellement dangereux ? Un petit jeu de cache-cache mental s’engage, où chacun se surprendra à remettre en question ses propres idées reçues sur la gériatrie, avant qu’un autre « incident douteux » ne soulève de nouveaux questionnements. Entre humour et jump scares, cette première partie, beaucoup trop longue, finit malheureusement par lasser. Dommage, car le film réserve et repose malgré tout sur un twist « made in Shyamalan » très efficace, et qu’il est plutôt difficile de voir venir.
Dès sa révélation stupéfiante, le rythme s’emballe et s’engage dans un suspens final judicieusement maîtrisé. À travers ce thriller efficace et original, Shyamalan évoque de nouveau les thèmes de la famille et du pardon, comme dans sa récente série Wayward Pines et surtout Sixième Sens. Pas dénué de défauts, le film réussit toutefois à faire oublier les égarements passés de son réalisateur, pour lequel nous nous surprenons à espérer une véritable rédemption.
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The Visit
De M. Night Shyamalan
2015 / USA / 94 minutes
Avec Olivia DeJonge, Ed Oxenbould, Deanna Dunagan
Sortie le 7 octobre 2015
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Crédit photos : © Universal Pictures