Top 10 : Song Kang-ho
Alors qu’il vient d’intégrer le jury du festival de Cannes 2021, retour sur la carrière du plus charismatique des acteurs sud-coréens, la star Song Kang-ho !
Si vous nous demandiez de résumer la nouvelle vague sud-coréenne née à la fin des années 90 en un seul visage, un seul nom, ce serait lui. Acteur de théâtre sans formation poussé tout en haut de l’affiche par son talent naturel et son aisance surnaturelle à incarner n’importe quel rôle, Song Kang-ho est LA grande star du cinéma coréen de ces vingt dernières années. Peut-être pas la plus bankable, mais la plus reconnaissable et la plus souvent digne de louanges. Plus prolifique qu’un Choi Min-sik, moins belle gueule qu’un Lee Byung-hun, Song Kang-ho c’est avant tout un comédien au physique inhabituel, dont le regard capte votre attention en une fraction de seconde, qui peut se montrer aussi désopilant que déchirant. Un type désarmant et sincèrement modeste, qui a toujours été fidèle aux grands cinéastes qui en ont fait leur muse. Song Kang-ho a tourné avec les meilleurs, dès ses débuts chez Hong Sang-soo et cette constance a fini par trouver son aboutissement avec le triomphe international de Parasite en 2019. Membre du jury du festival de Cannes cette année, Song présente aussi son nouveau long-métrage, le suspense aérien Emergency Declaration, avant de peut-être retourner devant la caméra de son vieil ami Bong Joon-ho. Cela méritait, plus que jamais, que l’on se penche sur sa carrière en dix rôles marquants. Bonne lecture !
10. Le bon, la brute et le cinglé
C’est la première, mais pas la dernière fois que l’on évoque dans ce top 10 la collaboration prolifique entre Song Kang-ho et le réalisateur Kim Jee-woon. Le cinéaste provocateur et styliste accompli avait fait ses armes avec The Quiet Family, où Song tenait un second rôle comique et c’est dans le même esprit qu’il incarne dans cet « eastern spaghetti » ébouriffant et un peu éreintant le « cinglé » du titre, une prestation sur ressorts toute en grimaces et en cabotinage contrôlé. Le bon, la brute et le cinglé est une récréation pour l’acteur, qui n’oublie toutefois pas de donner une véritable et inquiétante prestance à ce personnage de brigand plus futé qu’il n’en a l’air.
9. Thirst
L’un des autres mentors artistiques de Song Kang-ho se nomme Park Chan-wook. Le réalisateur d’Old Boy a fait de l’acteur une star avec JSA (voir ci-dessous) et lui demande dès ce premier tournage en commun s’il souhaite incarner un prêtre progressivement transformé en vampire dans sa très libre adaptation de Thérèse Raquin, Thirst. Le film, plastiquement sublime mais pas toujours accessible, permet à Song d’incarner un personnage tourmenté, pris entre une foi déclinante, une nouvelle vie vampirique qui en fait un monstre romantique, et son amour pour une femme fatale qui le mènera à sa perte. Un grand rôle de maudit resté sous-estimé.
8. Joint Security Area
A la lisière entre film de guerre, thriller d’espionnage, drame militaire et chronique bouleversante d’une amitié interdite, Joint Security Area est l’un des jalons de la nouvelle vague coréenne et de la carrière de Song Kang-ho. Insufflant de l’humanisme et une bonne dose de colère rentrée à ce personnage d’officier nord-coréen nouant des liens inattendus avec deux soldats du Sud leur faisant face à la frontière entre les deux Corées, Song et Park Chan-wook militent pour une paix des peuples, en soulignant l’absurdité d’un conflit déchirant en deux une Nation plus unie et similaire qu’elle ne veut s’en rappeler. Un grand film politique, récemment ressorti dans une restauration de toute beauté.
7. Sympathy for Mister Vengeance
Vous vous souvenez de Park Chan-wook ? C’est encore lui qui est aux manettes de Sympathy for Mister Vengeance, premier opus de sa trilogie de la vengeance poursuivie avec Old Boy et Lady Vengeance. Ultra-stylisé, baignant dans une ambiance délétère et électrique qui ne fait pas de prisonniers, Sympathy... carbure au drame extrême, avec un kidnapping qui tourne mal et met dans tous ses états un père de famille endeuillé qui se découvre un appétit de vengeance sans limites. Dans ce rôle sur le fil du rasoir, Song Kang-ho déploie une nouvelle facette de son talent, plus inquiétante et animale, parfaitement intégrée dans un thriller sous pression toujours aussi choquant 20 ans après.
6. Parasite
Deux ans après sa palme d’Or à Cannes, on a l’impression que Parasite a remporté tous les prix existants. Mais non, Song Kang-ho n’a pas été primé en personne pour sa participation à ce bijou choral, ludique et vénéneux, rejouant avec une virtuosité peu commune le drame séculaire de la lutte des classes, poussé ici à son paroxysme, à la fois littéralement et métaphoriquement. Song y est une performance parmi beaucoup d’autres, un père veule et dépassé qui rumine pendant deux heures sa haine des riches avant de précipiter le drame dans un dernier acte fou. In fine, c’est lui qui porte la charge émotionnelle de ce chef d’œuvre moderne.
5. The Foul King
On savait Song Kang-ho adepte des performances d’acteur, et il donne beaucoup de sa personne dans The Foul King, réalisé en 2000 par un Kim Jee-woon sur le chemin du succès. Comédie imparfaite (pas mal de longueurs) mais attachante, cette chronique d’un employé de banque dépressif qui retrouve une raison de vivre en pratiquant le catch est un formidable terrain de jeu pour un Song Kang-ho qui fait exploser sa dimension comique et physique, notre héros se heurtant à de multiples et douloureuses désillusions au fil de son apprentissage de la lutte costumée. Un rôle et un film à redécouvrir !
4. The Age of Shadows
A ce jour, la dernière collaboration entre Kim Jee-woon et Song Kang-ho est peut-être bien aussi la meilleure de toutes. Opulent film d’espionnage en costumes, clignant de l’oeil dans son titre à Jean-Pierre Melville tout en cultivant toujours visuellement sa parenté avec le cinéma opératique de Sergio Leone, The Age of Shadows n’est pas exactement limpide dans son premier tiers, mais prend rapidement une ampleur incroyable, tout en suivant le parcours d’un agent triple insaisissable et tiraillé entre ses multiples allégeances : un rôle en or pour Song Kang-ho qui fait parler son art de la nuance en exprimant mille pensées avec un regard.
3. A Taxi Driver
Uniquement visible en France via la plateforme e-cinema.com, A Taxi Driver est pourtant l’un des plus gros succès populaires en Corée du Sud pour Song Kang-ho. L’acteur est à son aise dans la peau d’un chauffeur de taxi individualiste et méprisant, qui au début des années 80, à la veille d’un soulèvement populaire et meurtrier qui marquera un tournant dans l’Histoire, prend à bord un journaliste occidental chargé de couvrir la manifestation. Chemise jaune dans sa voiture verte, Song Kang-ho est l’incarnation d’une prise de conscience populaire qui permettra à la Corée du Sud de sortir de la dictature militaire. Un rôle à forte résonance, cœur battant d’un divertissement réussi.
2. The Host
Avant les succès du Transperceneige et de Parasite, The Host était un jalon fort de la carrière du surdoué Bong Joon-ho : un film de monstre moderne spielbergien d’une tétanisante maîtrise, symbole de la faculté admirable du cinéma local à mélanger les tons et les genres en accouchant d’un résultat non seulement équilibré et cohérent, mais aussi original et enthousiasmant. Avec son look d’homme-enfant décoloré, papa déphasé mais partie prenante d’un clan familial aussi bigarré que soudé face à la menace d’un monstre né de manipulations toxiques (américaines !), Song Kang-ho fait encore une fois des merveilles. L’évolution de son personnage, tout comme dans Parasite, y est aussi brillante que révélatrice.
1. Memories of Murder
Pour beaucoup de critiques et d’adorateurs de la péninsule, Memories of Murder demeure le meilleur film coréen du XXIe siècle. Le souvenir de ce très grand polar noir, dont la mise en scène précise, labyrinthique et hypnotisante se calquait sur une enquête elle aussi obsédante car sans issue visible (impossible de ne pas penser à David Fincher en écrivant ces lignes, mais Bong évolue dans un autre registre mental) a été ravivé par la sortie d’un coffret collector définitif et la capture, plus de trente ans après, de l’auteur des crimes relatés dans le film. Memories of Murder demeure enfin le meilleur rôle de Song Kang-ho, ici enquêteur « des campagnes » mal dégrossi confronté à une affaire hors normes, dont la lente prise de conscience débouchera sur l’un des plus terrassants regards caméra de notre histoire du cinéma.