Treize Vies : la grotte des rêves sauvés
Reconstitution maniaque d’un véritable sauvetage, Treize Vies tire son épingle du jeu grâce au métier de Ron Howard et ses acteurs.
Si le public continue de plébisciter les films adaptés de faits réels, ce n’est pas parce qu’il y cherche du suspense – le « dénouement » de chaque histoire adaptée au cinéma est déjà là, à portée de clics, sur Internet, et sans doute dans un coin de notre cerveau ouvert aux flux de l’actualité. C’est pour avoir une idée de comment l’histoire s’est déroulée, de s’immerger dans ses détails, d’en tirer des leçons de vie avec un peu de chance. Dans le cas du sauvetage de la grotte de Tham Luang, comme de celui des mineurs chiliens en 2010 (dont a été tiré… un film, Les 33), il est clair que chaque spectateur sait déjà quand le générique débute comment l’histoire s’est terminée. Et que si elle se terminait mal, personne n’aurait osé en faire un film. L’essentiel est donc d’en savoir plus sur le déroulement de cette opération de secours, qui a mobilisé des milliers de Thaïlandais et de professionnels venus d’une vingtaine de pays, tous rassemblés dans le but de sauver Treize Vies.
Ils sont donc treize, une douzaine de garçons et leur entraîneur de football, coincés à l’été 2018 dans une grotte de la province de Doi Nang Non où ils avaient l’habitude d’aller jouer. Surpris par une pluie de mousson précoce, le groupe est perdu à 2 km au fond d’une cavité étroite et sinueuse. Les Navy Seals de la marine thaïlandaise sont dépêchés sur place auprès de familles mortes d’inquiétude, mais ils ne parviennent pas à les trouver. Peu à peu, le monde prend connaissance de ce sauvetage impossible, et plusieurs experts de la plongée souterraine sont mobilisés, dont les Britanniques Richard Stanton (Viggo Mortensen, arborant un accent anglais épais, mais convaincant) et John Volanthen (Colin Farrell). Ils parviennent à localiser, à leur propre surprise (et potentiellement celle du spectateur, maintenu dans l’ignorance jusqu’à cette scène) les survivants, affamés, mais en bonne santé. Volanthen promet une aide rapide, mais Stanton est plus pessimiste : comment peuvent-ils les sortir de ce piège, alors qu’eux-mêmes ont à peine réussi à parvenir, après huit heures d’effort, jusqu’à eux malgré leur entraînement ?
Immersion (et claustrophobie) garantie
Pas étranger aux films de sauvetage haletants (Apollo 13 demeurant l’un de ses meilleurs titres), Ron Howard retrouve une crédibilité bienvenue avec Treize Vies, qui succède dans sa filmographie à la débâcle Solo et au malavisé Une ode américaine. Artisan solide, parfois très inspiré, Howard sait en tout cas mener une grosse production à bon port, et l’idée de reconstituer en plateau (ou plutôt en bassin), en Australie, les contours de toute la grotte de Tham Luang, ne l’a pas du tout effrayé. C’est d’ailleurs ce qui marque le plus durant les 2h20 (hors générique) de métrage : la faculté du cinéaste à nous immerger – sans jeu de mots – dans les contreforts de ces montagnes verdoyantes où la pluie incessante fait figure d’adversaire impitoyable, où l’entraide, l’esprit d’initiative et le professionnalisme de chacun sont les seules digues qui protègent le pays d’une tragédie. Volanthen et Stanton, tels que les incarnent les deux stars, sont les deux faces complémentaires de l’opération, le stratège pragmatique et l’optimiste angoissé, tous deux hommes de peu de mots. Howard saisit bien le caractère étouffant, éreintant, de cette histoire de plongées répétées en eaux troubles, la cave devenant grâce à la photo précise et subtile de Sayombhu Mukdeeprom (Oncle Boonmee, Suspiria, Beckett) cet ennemi silencieux et létal, susceptible d’être le tombeau de chaque plongeur à la moindre crise de panique, de manque d’oxygène ou de matériel défectueux.
« Des pros humbles et tiraillés eux aussi par le doute ou la peur, qui ne tirent jamais la couverture à eux. »
Quand le film entre dans sa dernière ligne droite – celui de l’inévitable course contre la montre pour sauver chacun des garçons avant qu’il n’y ait plus d’air -, il peine à surprendre et à éviter l’impression d’un récit en pilotage automatique. Les pistes dramatiques annexes (la mère de l’un des garçons, apatride, est la meneuse révoltée du groupe de parents éplorés ; un jeune homme infatigable mène des opérations de détournement des eaux de pluie ; le gouverneur se bat avec des supérieurs qui veulent en faire un épouvantail en cas de drame) s’assèchent et se réduisent à leur plus simple expression. L’accent est mis sur le groupe de plongeurs, auquel se joint l’anesthésiste joué par Joel Edgerton, des pros humbles et tiraillés eux aussi par le doute ou la peur, qui ne tirent jamais la couverture à eux. Des personnages à la Howard Hawks qui ont in fine les faveurs de Ron Howard, même si celui-ci prend garde de ne pas tomber dans le syndrome du « sauveur blanc ». Treize Vies, avec ses gros moyens et son casting inspiré, déroule son histoire schématiquement et passionne sans peine. C’est un bon complément au documentaire The Rescue, visible sur Disney+, qui retrace de la même manière les différentes étapes de cette incroyable odyssée humaine.