Warfare : en Irak, rien de nouveau

par | 9 juillet 2025

Warfare : en Irak, rien de nouveau

Avec son scénario dégraissé jusqu’à l’os, Warfare, film de guerre en Irak ultra-réaliste, est une démonstration technique viscérale mais vide de sens.

Il n’aura échappé à personne que les USA traversent l’une des périodes les plus sombres de leur histoire. Sous la coupe d’un président partisan de l’autoritarisme et du révisionnisme, belliqueux jusqu’à l’absurde, le pays commence à s’engager dans de nouveaux conflits coûteux et idéologiques, comme si l’Histoire n’avait pas démontré la futilité de ce mode de pensée impérialiste. L’exemple le plus récent, le plus douloureux aussi, de cette volonté de domination mondiale, demeure la seconde guerre en Irak menée pendant les années 2000. Qui peut affirmer que le monde se porte mieux parce que l’armée américaine a envahi, sous des prétextes trompeurs, le pays de Saddam Hussein au lendemain du 11 septembre ? Comme le Vietnam, l’Irak est une plaie béante dans la psyché US, dont le cinéma s’est emparé à maintes reprises ces 20 dernières années. La question qui se pose avec Warfare, que le cinéaste et scénariste Alex Garland (Ex Machina) a coréalisé avec son conseiller technique sur Civil War et ancien US Navy Seal Ray Mendoza, est donc inévitable : à quoi sert le film en 2025 et que peut-il nous apprendre sur ce conflit parmi les plus filmés et commentés du dernier siècle ? 90 minutes et des poussières ont vite fait de nous apporter une réponse décevante : à pas grand-chose.

Il faut sauver… tous les soldats

Warfare : en Irak, rien de nouveau

Retour en 2006. Le carton introductif de Warfare nous apprend sans plus de contexte que nous sommes à Ramadi, en Irak, au cœur d’une bataille entre les Marines américains et les insurgés qui durera des mois. Le film va s’intéresser, en quasi temps réel, à une opération de surveillance dans un quartier résidentiel de la ville qui va tourner au vinaigre. Ray Mendoza lui-même (joué par D’Pharaoh Woon-a-Tai) fait partie de l’escouade pénétrant de nuit dans une maison familiale pour y prendre position. Mines claymore aux sorties, snipers à l’affût : les soldats ainsi retranchés se rentrent compte au petit matin qu’ils campent en fait non loin d’un gros repaire de combattants. Et ces derniers ont bien compris que des Yankees se cachaient dans cette maison, qui petit à petit est prise d’assaut. Bien que les ennemis demeurent invisibles, la menace qui pèse désormais sur les soldats est bien réelle. L’attente presque beckettienne cède la place à la tension, la tension à la peur, alors que des engins explosifs sèment le chaos et que le petit groupe tente, péniblement, d’organiser son évacuation…

« Une espèce d’avatar filmé de Call of Duty : Modern Warfare avec une caution historique. »

Vendu comme le « film de guerre le plus réaliste qui soit » par les producteurs malins d’A24 tout en se voulant paradoxalement une véritable démonstration technique d’immersion dans une opération militaire violente et brutale, Warfare est un projet qui interroge autant qu’il laisse, de manière étonnante, indifférent. Recomposé à partir des « souvenirs des participants », le scénario n’est pas un modèle de construction dramaturgique, et c’est fait exprès. Hormis un prologue semi-ironique qui nous présente le bataillon de Mendoza comme une masse hétéronormée de testostérone en excès de confiance, Garland met rarement en perspective sur le destin de ses héros en treillis. Les dialogues de Warfare, pour l’essentiel, se composent de jargons techniques, les personnages interchangeables nous sont familiers essentiellement parce qu’on y reconnait des visages d’acteurs connus (Will « Detroit » Poulter », Joseph « Stranger Things » Quinn, Cosmo « Shogun » Jarvis…), les enjeux sont réduits au minimum : il faut quitter la maison au plus vite sans laisser les blessés au tapis. Malgré leur imposant barda, leurs ressources illimitées – rappelons que l’armée US est de loin, de très loin, la plus dotée au monde -, leurs connaissances tactiques, les Marines ici semblent moins taillés pour gagner une guerre que pour rester marqués à vie par ce bourbier urbain où les morts, blessés graves et tirs nourris s’accumulent en quelques dizaines de minutes.

Attention, faire la guerre tue

Warfare : en Irak, rien de nouveau

C’est peut-être ce message que Garland et Mendoza veulent faire passer, derrière cette pseudo-viscéralité du fait réel reconstitué sans artifice hollywoodien mais avec les moyens de Hollywood quand même. Que tous pros qu’ils soient, les supposés invincibles troufions de l’oncle Sam sont des êtres humains qui souffrent, meurent et ont peur comme les autres. Peut-être. Impossible de savoir. Warfare est si dépourvu de volonté de creuser, ou même de chercher à creuser la psychologie de ceux qui se battent à l’écran, de leur donner corps au-delà du spectacle des plaies à vif, des membres déchiquetés et des gestes paniqués et désordonnés de ceux qui survivent, que leur périple ne nous touche à aucun moment. Le cinéma, on l’a dit, a maintes et maintes fois filmé les Américains en Irak, de Démineurs à Jarhead et American Sniper en passant par le méconnu Battle for Haditha, Un jour dans la vie de Billy Lynn et le Redacted de Brian de Palma. Quant à l’atrocité, immédiate et brutale, de c’est que la guerre, n’en parlons pas : Spielberg, Kubrick, Oliver Stone, Elem Klimov et Dalton Trumbo, voire même le récent À l’Ouest rien de nouveau, pour ne citer qu’eux, se sont chargés de nous rappeler la pertinence de cet euphémisme au fil des décennies.

Warfare n’apporte rien de plus dans la balance d’un côté comme de l’autre. Et son absence de point de vue sur la légitimité du combat des Américains – car pour souffrir avec eux, encore faudrait-il que l’on prenne fait et cause pour les raisons de leur combat – le condamne à passer indirectement pour un tract pro-militariste, ce que renforce le générique de fin à la gloire de l’escouade. Le résultat est une espèce d’avatar filmé de Call of Duty : Modern Warfare avec une caution historique, certes inattaquable d’un point de vue technique (décors, sound design, cinématographie et montage ultra-fluide : rien ne dépasse à ce niveau), mais d’une telle vacuité artistique qu’il en devient pratiquement déplaisant.