Il aurait été difficile de le croire il y a quelques années, mais les productions de Walt Disney Animation nous font désormais presque autant envie que celles de Pixar. Certes, tout ce petit monde d’animateurs, de réalisateurs et de scénaristes travaille sous un même toit, économiquement parlant. Mais les livraisons annuelles de la maison mère, plus ouvertement orientées vers le jeune public (et en particulier vers les jeunes filles), caviardées de chansons et de bons sentiments, possédaient jusqu’à récemment peu d’attrait pour plaire aussi à une frange plus adulte de spectateurs, à l’instar de Wall-E ou de Vice-Versa. Les choses changent cependant, comme l’ont prouvé les sympathiques Les mondes de Ralph, Les nouveaux héros, sorti l’an passé, et comme le prouve à nouveau ce Zootopie plutôt enthousiasmant.
Le nouveau monde animal
Le parti-pris choisi par les réalisateurs (à qui l’on doit entre autres Raiponce et Les mondes de Ralph) n’a pourtant rien de novateur a priori, surtout vu le passif de la boîte à Mickey. Zootopie se déroule dans un monde comme le nôtre, mais entièrement peuplé d’animaux sauvages parlants et adapté à leurs différents besoins. Ici, l’humain n’a même pas existé : à la place, ce sont les différentes espèces qui ont bâti une société rassemblant côte à côte prédateurs et proies, souris et félins… Le décalage voulu par le film réside bien entendu dans l’attribution de certaines fonctions de tous les jours à des animaux bien particuliers : les lemmings surexcités sont ici des costards cravate accros au sucre (sic), le maire est un lion, et, comme vous le savez déjà grâce à l’extrait multi-diffusé du film, les fonctionnaires de l’administration sont tous des paresseux attachants, mais longs à la détente. Rassurez-vous, ça n’est pas le seul, ni le meilleur gag du film. Cette matière fourmillante sert avant tout de décor à la véritable aventure, une enquête qui réunit justement deux spécimens voulant aller à l’encontre des clichés qui définissent leur espèce.
[quote_center] »Une sorte de 48 heures à la sauce Blacksad avec une petite touche de Shane Black, en plus léger et référentiel »[/quote_center]
L’héroïne de Zootopie est en effet une lapine, tout ce qu’il y a de plus trognon grâce à ses grandes oreilles et ses grands yeux, qui s’est mis en tête de devenir le premier policier de son espèce. Un métier confié généralement à des rhinocéros, des buffles ou des tigres (et aussi, c’est un aspect important, plus spécifiquement à des mâles)… Contre toute attente, Judy la lapine parvient à décrocher le concours, quitte sa campagne et ses champs de carotte pour la grande ville, et se retrouve… à aligner des amendes, logiquement plus vite que son ombre – c’est un lapin de Garenne, assurément. Déçue par ses missions, elle tombe bientôt sur une mission, une vraie. Des disparitions en masse de prédateurs, si mystérieuses qu’elle doit faire équipe avec un ennemi juré : Nick Wild, un renard rusé et escroc de grand chemin, qui en connaît un rayon sur les bas-fonds de Zootopie…
Un buddy movie version mignon
Surprise, donc : plutôt qu’un défilé comique de personnages anthropomorphiques singeant nos petites habitudes, Zootopie s’avère être avant toute chose un buddy movie policier en bonne et due forme, animé par deux héros aussi mal assortis que peuvent l’être un rongeur procédurier et un canidé magouilleur. Une sorte de 48 heures à la sauce Blacksad avec une petite touche de Shane Black, en plus léger et référentiel. Et l’enquête de Nick et Judy, si elle aboutit à une conclusion prévisible, se révèle plutôt rondement menée. La séparation de la cité en plusieurs « zones » ayant leurs propres caractéristiques donne un bon prétexte pour varier les ambiances et personnifier les différentes menaces, et la clé du mystère, qui ne consiste heureusement pas en une simple révélation à la Scoobydoo, permet au contraire de relancer l’intrigue en affectant chacun des personnages intimement. Comme dans tout bon Disney, les remises en question amènent avec elle leur leçon de vie en forme de « méthode Coué », mais le film a cette qualité, qu’on retrouve souvent chez Pixar, de ne pas être trop naïf. Zootopie est bon enfant, c’est sûr – on y danse gaiement sur du Shakira, après tout – mais il soulève des thèmes (s’affirmer quand on est une femme dans un monde d’hommes, rejeter les amalgames, combattre sa peur initiale de l’autre) qui trouvent une résonance surprenante dans notre monde actuel. Quoi de plus logique, finalement, puisque c’est un peu celui-ci que le film duplique et parodie à sa sauce.
Sans céder autant à la mode que les Shrek, entre autres exemples, Zootopie s’amuse à insérer dans son aventure échevelée des références culturelles plus (Le Parrain, Speed) ou moins (une célèbre série télé… et n’en disons pas plus) immédiatement reconnaissables. Les réalisateurs ne se privent pas non plus d’abreuver chaque scène de gags visuels reposant généralement sur le contraste entre les espèces (un lapin + une girafe + un escalator = du lol clé en main), ou justement sur le décalage entre l’animal et sa fonction, comme cet éléphant prof de yoga, ou ce renard pâtissier… Extrêmement coloré, le monde que nous découvrons est si riche qu’il donne presque envie de s’y perdre (patience, le jeu vidéo arrive sans doute bientôt), preuve que les scénaristes ont su tirer parti d’une idée qui aurait pu être exécutée sans passion. Et il ne fait pas de doute que l’alchimie entre Nick et Judy, que le film prend son temps pour peaufiner, débouchera vite sur une autre aventure à rebondissements, si le succès est au rendez-vous.
[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]Zootopie est loin d’être le premier film Disney à imaginer un monde peuplé de renards rusés et de rois lions. Vous vous souvenez de Robin des Bois ?[/toggle_content]
[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Zootopie (Zootopia)
De Byron Howard, Rich Moore & Jared Bush
2016 / USA / 108 minutes
Avec les voix de Jason Bateman, Ginnifer Goodwin, Shakira
Sortie le 17 février 2016
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