Suite à un imbroglio juridique dont on soupçonne qu’il peut être imputé aux producteurs de Miramax, cela fait bientôt deux ans qu’on attendait de voir débarquer en France La 9e vie de Louis Drax. Alors que la concrétisation fantasmatique de son adaptation de Cobra se fait toujours désirer, le film permet de prendre des nouvelles d’Alexandre Aja, la plus durable exportation du cinéma de genre français depuis des lustres. Nous avions quitté le réalisateur sur un Horns intéressant, annonçant un changement de cap progressif dans une carrière jusque-là marquée par des excès sanglants fantasques et débridés. Le « splat pack » des années 2000, dans lequel on l’avait rangé avec des camarades de jeux comme Eli Roth ou Greg McLean, semble désormais loin. Avec La 9e vie de Louis Drax, Aja poursuit dans la veine de l’adaptation de roman inclassable, au carrefour de plusieurs genres et ambiances qu’il tente de rassembler dans un tout cohérent. Pour quel résultat ?
Une famille pas formidable
Louis Drax s’ouvre sur un prologue en flash-back à la fois douloureux et enjoué. Louis, qui vient de fêter ses neuf ans, est loin d’être un garçon comme les autres. Depuis sa douloureuse naissance, il a échappé plusieurs fois à la mort, après des accidents domestiques ou de soudaines allergies presque fatales. Mais cette fois, c’est grave : après avoir chuté d’une falaise pendant son pique-nique d’anniversaire, Louis est dans le coma, et pratiquement paralysé. Sa mère Natalie est inconsolable, et son père, Peter, est introuvable, en plus d’être lourdement soupçonné de l’avoir poussé dans le vide. Louis est bientôt admis dans le service spécialisé du docteur Pascal, qui pense que le garçon évolue dans un état semi-conscient, dont il peut sortir. Le médecin, malgré l’enquête en cours, ne peut s’empêcher d’éprouver des sentiments pour Natalie. Pendant ce temps, Louis, piégé dans son monde intérieur, remonte le fil de son passé et rencontre quelques figures familières…
[quote_right] »La 9e vie de Louis Drax pâtit d’un manque sérieux de direction tonale. »[/quote_right] Si La 9e vie de Louis Drax semble si complexe à résumer, c’est parce qu’il tire sa source d’un roman, signé en l’occurrence Liz Jensen. La forme littéraire reste l’une des plus indiquées pour explorer le subconscient d’un enfant, et explorer le chaos de sa pensée. C’est aussi une forme artistique idéale pour marier des genres a priori irréconciliables comme le film noir, la fable fantastique, le drame psychologique et la comédie douce-amère. Plutôt que de choisir entre toutes ces facettes, qui tirent le récit vers des ambiances diamétralement opposées, Alexandre Aja et son scénariste débutant (le comédien Max Minghella) ont décidé de toutes les embrasser, au risque de déboucher sur un résultat brinquebalant et bancal. Cette crainte se matérialise en fait dès les premières minutes, avec ce prologue virevoltant qui ne peut qu’évoquer les films de Jean-Pierre Jeunet. Le long-métrage embraie pourtant immédiatement sur une phase d’enquête criminelle à rebondissements, le mystère restant entier sur les circonstances qui ont précipité la chute quasi-fatale de Louis. Le point de vue bascule sur le docteur Pascal, dont la spécialité reste nébuleuse, et sur son histoire d’amour naissante avec Natalie. Fricoter en douce à quelques mètres de l’endroit où végète son enfant n’est pas très moral (c’est le prétexte d’une scène « choc » renvoyant directement à L’Esprit de Caïn de Brian de Palma), mais surtout, cela nous éloigne du mystère initial, Pascal n’étant pas un policier et encore moins un type malin. Pour cela, le spectateur devra se reposer sur la voix off du petit Louis, gamin précoce et sarcastique, qui commente les retours dans le passé nous éclairant petit à petit sur sa personnalité et celle de ses parents. On comprend vite que le père absent du paysage, et la mère aimante et dévouée ne correspondent pas vraiment au portrait à charge que l’on fait d’eux.
Un melting-pot d’ambiances bancal
Ce récit éclaté, Alexandre Aja peine souvent à le structurer de manière satisfaisante. S’il représente, en termes plastiques, une véritable et passionnante progression pour le cinéaste, qui ose des raccords inventifs, des cadrages révélateurs et des choix chromatiques pertinents, La 9e vie de Louis Drax pâtit d’un manque sérieux de direction tonale. Le métrage louvoie ainsi constamment entre les ambiances à la Guillermo del Toro ou Quelques minutes après minuit dans sa partie « enfantine », et l’hommage bourrin à Hitchcock, avec son couple adultère et sa blonde glacée, sans que l’une ne complète efficacement l’autre. Il y a presque un autre film, mélancolique et déchirant, dans la relation qui se révèle entre Louis et son père. Le mystère entourant Natalie et Pascal tient quant à lui du feuilleton dominical, avec un twist prévisible, et un deus ex machina (le psychiatre joué par Oliver Platt) pour le moins artificiel, qui permettent de relier bon gré mal gré les deux univers. Le cocktail, moins organique et viscéral que dans Horns, peine à convaincre, quand bien même l’ambiance côtière de Vancouver se révèle palpable.
Difficile donc de savoir quel public visait ce Louis Drax resté longtemps sur les étagères avant de sortir directement en vidéo dans le pays natal d’Aja – une première pour le metteur en scène. La façon dont le film aborde des thématiques remuantes (les désordres psychologiques, la maltraitance infantile) suffit à rappeler le sérieux et l’ambition du projet. Mais le résultat manque de corps, d’incarnation, et cela est en partie dû au casting : si l’alchimie entre le jeune Ayden Longworth (vu dans The Unseen) et le charismatique Aaron Paul (Breaking Bad) est évidente à l’écran, on ne peut pas en dire autant du couple formé par Jamie Dornan (50 nuances de Grey) et Sarah Gadon (Map to the stars). Leur jeu désincarné et monolithique ne joue pas en faveur d’un film qui aurait gagné à choisir clairement son camp, quitte à trahir sa source littéraire.
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La 9e vie de Louis Drax (The 9th life of Louis Drax)
D’Alexandre Aja
2015 / USA – Canada – Royaume-Uni / 108 minutes
Avec Sarah Gadon, Jamie Dornan, Aiden Longworth
Sortie le 21 juin 2017 en DVD et Blu-ray (Carlotta)
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