Depuis Le Péril Jeune, le duo formé par le réalisateur Cédric Klapisch et son acteur vedette Romain Duris reste en constante évolution. À l’image du personnage de Xavier, héros de l’Auberge Espagnole et des Poupées Russes, leurs carrières respectives ont connu des hauts (De battre mon cœur s’est arrêté, pour Duris) et des bas (l’échec de Ma part du gâteau pour Klapisch). C’est donc avec cette maturité artistique (et personnelle, Klapisch ayant visiblement attendu que Duris ait des enfants) acquise, que le réalisateur et l’acteur ont entamé le tournage du dernier volet d’une saga, Casse-tête chinois. Attendu au tournant par la critique peut-être lassée par cette franchise aussi populaire que rentable, le réalisateur a pris son temps et s’est concentré sur un scénario plutôt complexe, en laissant peut-être un peu trop le champ libre à son acteur et aux actrices qui répondent une nouvelle fois présents autour de Duris : Cécile de France, Audrey Tautou et Kelly Reilly.
Panique à Chinatown
Le temps a passé depuis la période Erasmus à Barcelone ! Xavier a suivi des études de cinéma avant de devenir père de deux enfants avec Wendy. Il voit toujours sa copine lesbienne Isabelle. Pour réaliser le rêve de cette dernière et de sa compagne, il leur fait don de son sperme et met son couple en péril. Wendy le quitte et part vivre à New York avec ses enfants. Ne pouvant supporter la séparation avec sa progéniture, Xavier la suit dans la Big Apple où il retrouve Isabelle enceinte. Pour rester sur place, un véritable parcours du combattant administratif l’attend. Le jeune père découvre le mariage blanc, les jobs au noir, les avocats filous et voit rouge face aux services d’immigration. Il trouve refuge à Chinatown où il reçoit Martine qui tente de raviver la flamme entre eux.
Survolant les quartiers de Brooklyn et Chinatown (parfois littéralement, avec des séquences animées basées sur le principe… de Google Maps), ce Casse-tête chinois poursuit cette éternelle question : « quand vas-tu enfin grandir ? ». Xavier, embourbé dans sa vie, ses amours et ses emmerdes fuit une dernière fois ses responsabilités en décollant pour l’autre bout du monde sur un coup de tête et en se réfugiant dans les livres. Il veut toucher l’indicible frisson de l’amour sans réussir à le détecter lorsqu’il se trouve en face de lui. Isabelle tente désespérément de raviver le souvenir de ses jeunes années en refusant catégoriquement de voir la réalité en face. Martine drague son ex à l’autre bout du monde sans se préoccuper des bouleversements que cela pourrait entraîner sur son quotidien et celui de ses enfants. Ces derniers semblent être devenus une joie autant qu’un fardeau, qui empêchent ces éternels insatisfaits de rester eux aussi à un âge plus déraisonnable.
La force du symbole
Cédric Klapisch peaufine son scénario afin que chaque enjeu de l’histoire trouve une résonance dans un dénouement aussi attendu (et forcé, façon comédie de boulevard) que volontaire. Dans sa quête de maturité, Xavier démêle à sa manière son casse-tête mental et trouve des réponses dans les différents indices disséminés çà et là autour de lui. Les signes avant-coureurs du bonheur semblent nombreux à pointer du doigt la vérité : l’écriture de son roman, qui fait écho au film, intitulé Casse-tête chinois, basé sur son escapade américaine, prend tout son sens lorsqu’il découvre que l’une de ses amies s’exprime parfaitement en mandarin. Xavier subit sa destinée, mais il devra à un moment donné la prendre en main. Tout au long de l’histoire, notre héros ne maîtrise absolument pas les événements qui surviennent. Sa chance renversante lui permet de se sortir de situations ardues, comme trouver une épouse américaine ou un job, sans même devoir chercher. Refusant d’agir de manière rationnelle, il laisse ses émotions dicter sa vie en prétendant le contraire.
Tout au long de sa trilogie, Klapisch s’est attaché à décrire les aléas d’une génération, aujourd’hui quarantenaire, qui n’a plus à se distinguer de ses parents. Du mode de vie nomade décrit dès les premières secondes de l’Auberge Espagnole, jusqu’à la conception de l’éducation publique défendue farouchement par Xavier dans Casse-tête chinois, ces thèmes ne sont jamais traités sur le mode du militantisme. Sans se placer en donneur de leçon, Klapisch déploie un discours ouvert et simple sur le mariage blanc ou l’homoparentalité, par exemple. Xavier quitte son succès naissant et son bel appartement parisien par amour pour ses enfants et recommence sa vie à zéro et en bas de l’échelle sociale, jusqu’à devenir comme dans Premium Rush coursier à vélo. Ce style de vie précaire mais positif, qui rejette et ignore l’establishment s’avère terriblement séduisant. La puissance tranquille du propos, personnifiée par Xavier, justifie l’engouement généré autour d’une saga très ancrée dans l’époque actuelle, jusqu’à en embrasser esthétiquement les codes les plus artificiels (le film est rempli, dès le générique, d’effets de style supposément branchés, mais qui contribueront à le « vieillir » très rapidement).
Un jeu cartoonesque
[quote_left] »Klapisch s’est concentré sur un scénario plutôt complexe, en laissant peut-être un peu trop le champ libre à son acteur et aux actrices. »[/quote_left]
La faille notable de Casse-tête chinois réside dans l’interprétation des acteurs. Romain Duris semble fortement en retrait et ne sort de son mutisme qu’à de rares occasions. Distant, sans paraître froid, il s’inspire à juste titre du personnage d’Antoine Doisnel, qui connaît au fil de sa vie dans le cinéma de Truffaut des déboires similaires. Dans sa volonté d’intérioriser son personnage, il s’éloigne de la personnalité de Xavier, qu’il a créée et qui a provoqué l’attachement du spectateur. Cécile de France tranche radicalement avec le jeu de son partenaire, en forçant le trait de la lesbienne délurée, et donne l’impression de jouer dans un tout autre style de comédie. Comme Audrey Tautou et Kelly Reilly, qui se contentent d’être charmantes, mais de manière plus agaçante, elle ne parvient à donner une nouvelle profondeur à Isabelle, la cantonnant à sa fonction de meilleure pote vulgos de Xavier.
Casse-tête chinois reste malgré tout une agréable comédie, fortement (bien plus que dans les précédents épisodes en tout cas) teintée de comique de situation et de scènes où pointe une réelle émotion – comme celle où Xavier revoit brièvement son père (Benoit Jacquot), et découvre les traces de son passage sur un trottoir. Tombant quelques fois à plat, l’humour du film aborde à rebrousse-poil le choc des cultures (l’avocat, les services d’immigration, la rencontre avec le nouveau petit ami de Wendy, caricature d’américain sculptural), la relation père-fils (quoique le gag de l’enfant qui sauve son père du désastre a des airs de déjà-vu) et la philosophie, ici présentée au sens « propre » du terme. Multipliant les intrigues et les rebondissements, le spectateur sortira du labyrinthe mental de Xavier, conquis par ce nouveau voyage, mais avec la sensation tenace que celui-ci prend fin pour de bon.
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Le Casse-Tête Chinois, de Cédric Klapisch
France / 2013 / 116 minutes
Avec Romain Duris, Cécile de France, Audrey Tautou, Kelly Reilly
Sortie le 4 décembre 2013
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