Cela devait bien arriver un jour : depuis ses débuts derrière la caméra (et même devant, si l’on veut bien se rappeler l’expérience malheureuse de La Plage), Guillaume Canet a toujours manifesté une passion dévorante pour le cinéma américain, spécifiquement celui des années 80. Si le comédien est aussi grand amateur de Claude Sautet (Les petits mouchoirs et ses « leçons de vie » l’ont douloureusement prouvé), c’est avant tout l’atmosphère rugueuse, les tragédies portées par des personnages de perdants magnifiques, et une mise en scène de l’action réaliste, bref, une certaine idée du Nouvel Hollywood qui portait Ne le dis à personne et porte maintenant ce Blood Ties. Remake assez fidèle du français Les liens du sang, où Canet figurait en temps qu’acteur, Blood Ties garde intact les costumes pelle à tarte (le film se déroule toujours dans les années 70) mais en transpose l’action à New York, dans une ère pré-Giuliani que le réalisateur / scénariste (enfin, scénariste… disons que l’ami James Gray est venu donner un gros coup de boost à l’écriture du script) s’est efforcé de retranscrire avec force détails, jusqu’aux déchets dans les rues. Appliqué, le Guillaume. Normal : il réalise tout simplement avec Blood Ties son rêve américain, une fresque polardeuse « directed by » lui-même.

L’histoire est la même que dans Les liens du sang : deux frères, l’un gangster sorti de prison, l’autre flic pugnace, se déchirent sur fond de tragédie familiale (le père est mourant) de loyauté ambiguë. Chris, le grand frère, voudrait bien se réinsérer, mais les embrouilles et l’argent facile ont vite fait de prendre le dessus et de le faire replonger dans une vie criminelle. Frank, le cadet, doit héberger ce frère en qui il voyait enfant un héros, et qui est maintenant un étranger pour lui. Alors que les braquages et les assassinats s’enchaînent, les principales victimes collatérales de leur affrontement sont les femmes, de leur sœur Marie à la prostituée Monica en passant par leurs dulcinées, Natalie et Vanessa. Frank et Chris vont devoir des choix, aussi difficiles que définitifs.

Les liens (serrés) du cinéma

Blood Ties : un touriste à New York

Si Blood Ties confirme une chose, c’est que Guillaume Canet n’est pas un génie incompris de la mise en scène. Ses précédentes réalisations montraient une prédisposition plutôt heureuse au métier, avec notamment une gestion de multiples personnages convaincante (normal, dirons-nous, puisqu’il est aussi acteur) et des choix esthétiques assurés. Blood Ties montre au contraire les limites du talent de cinéaste de la star de Jappeloup (qui lui aurait donné envie soit dit en passant de délaisser le 7e art pour les canassons), confronté à un exercice de style qui le place directement dans la lignée de classiques au souvenir écrasant. En plaçant à la fois au centre de l’histoire un policier moustachu portant haut le badge de l’intégrité, et un voyou piégé dans un cercle vicieux d’une vie de truand, qui plus est dans les rues de Brooklyn, Canet fait distinctement référence aux films de Sidney Lumet et Martin Scorsese. Un montage musical par ici, un portrait de flic dissolu par là : plus qu’un univers, ce sont des films même que le Français recopie sans imagination, allant jusqu’à singer dans sa dernière bobine le scénario de L’Impasse.

L’apport manifeste de James Gray au projet sonne plus comme une caution artistique, un pare-feu médiatique qui ne fait qu’illusion : on doute que le réalisateur de La Nuit nous appartient ait autant apprécié que ça de participer à un projet qui s’inspire autant de son propre classique de 2007 (qui aurait pu tout aussi bien s’appeler Blood Ties). Si l’on place les deux œuvres côte à côte, le verdict est d’ailleurs sans appel : là où Gray impose une vision lyrique, tranchée et virtuose du genre, Canet se complaît lui dans une ambiance de livre d’images compassé, un catalogue de lieux communs et de passages obligés à la limite visuelle du téléfilm, où s’enchaînent les champs / contre-champs serrés.

Un casting solide… enfin presque

Blood Ties : un touriste à New York

[quote_right] »Canet se complaît dans une ambiance de livre d’images compassé. »[/quote_right]Le réalisateur n’est pas pourtant pas parti la fleur au fusil sans quelques arguments solides en poche : son film bénéficie effectivement d’un casting de qualité, dominé par deux excellents acteurs de composition, Clive Owen (Les fils de l’homme) et le sous-employé Billy Crudup (Watchmen). Intenses, les deux comédiens transcendent des rôles pourtant sacrément archétypaux, sans trop verser dans le cabotinage. À leurs côtés, on croise une belle brochette de talents, de Zoe Saldana à James Caan (autre « caution » héritée de James Gray) en passant par Mila Kunis et Matthias Schoenaerts. Tous ont droit à leur arc narratif, si cliché soit-il, au détriment du rythme général du film. 144 minutes, c’est beaucoup lorsqu’on a si peu de choses originales à raconter (à titre de comparaison, Les Liens du Sang durait 45 minutes de moins), et tant de personnages à caser. Alors, Canet bâcle beaucoup : les personnages de Natalie et Vanessa sont réduits à des rôles peu crédibles car changeant d’attitude en quelques minutes, James Caan disparaît sans prévenir et sans bruit le temps d’une séquence de transition…

Le pinacle de cet enchevêtrement d’intrigues étant atteint (mais est-ce une surprise ?) avec le personnage de Monica, prostituée forcément droguée et délurée interprétée avec un accent chelou et une diction empruntée par Marion « chut c’est mon mari » Cotillard. Passe encore que l’actrice oscarisée s’essaie sans convaincre à copier Gena Rowlands dans la peau d’une femme à la dérive (qui pleure, qui fume, qui se drogue, bref qui souffre). Mais surtout, on se rend vite compte que le personnage n’est qu’un mécanisme narratif totalement artificiel (pourquoi Clive Owen fait-il appel à cette ex-femme qu’il déteste ?) servant à enclencher un troisième acte sans surprise. Qu’autant de temps – et de crédibilité – soit perdu dans cette sous-intrigue complaisamment étirée explique en partie l’échec de Blood Ties. Guillaume Canet a beau porter son souci d’authenticité en étendard (oh, le pont de Brooklyn ? Tiens, une bande-son composée de standards du rock ! Ben ça : une poursuite sur les docks à la manière de French Connection !), et garantir un minimum d’intérêt par la qualité de sa distribution, les Américains qu’il tente d’imiter ne l’ont pas attendu pour faire mieux, et ce depuis bien longtemps.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

deuxsurcinq
Blood Ties
De Guillaume Canet
USA-France / 2013 / 144 minutes
Avec Billy Crudup, Clive Owen, James Caan
Sortie le 30 octobre 2013
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