Cette semaine passée au BIFFF 2014, sous les ors du Palais des Beaux-Arts, entre hommage à Caroline Munro, masterclass avec Jean-Pierre Jeunet ou discussion autour d’un verre avec Sergi Lopez, a permis de tester sa propre résistance face aux séances qui s’enchaînent sans discontinuer de 14h à 00h30, assiduité rendue parfois difficile du fait de la fréquentation des deux bars qui permettent de prendre du bon temps entre deux projections, et de prendre la température du Festival un verre à la main. C’est aussi ça les festivals ! En attendant de revenir sur le dernier week-end de l’événement, chargé lui aussi en découvertes, une constatation s’impose : la vague zombiesque commence à se tarir, ainsi que la tendance à la gaudriole. L’époque est au retour de l’épouvante pure et dure, dans la lignée des succès de James Wan et compagnie, et le cinéma de genre asiatique et de qualité, impose de plus en plus sa marque.
The Fives
La Corée est encore à l’honneur dans la section Thriller avec ce brillant exercice de style qui n’est pas sans rappeler Lady Vengeance et Sympathy for Mr. Vengeance. Le film partage d’ailleurs avec ce dernier le thème ô combien sulfureux du prélèvement d’organes illégal. Adapté de son propre webcomic (visible sur cartoon.media.daum.net) par le réalisateur Jeong Yeon-shik, The Fives narre donc la croisade particulière de Eun-ah qui, pour venger le massacre de sa famille, n’hésite pas à négocier ses propres organes auprès de quatre sbires/demandeurs qui vont l’aider dans son enquête. Empruntant les sentiers bien balisés du cinéma coréen, The Fives démontre encore une fois les ressources insoupçonnées des réalisateurs locaux, même inexpérimentés : ils savent à la fois manier l’émotion et le suspens, et n’hésitent pas à innover par quelques idées de mise en scène surprenantes. Un peu trop long (le péché mignon de nombreuses productions du pays du Matin Calme), The Fives s’appuie sur un casting de haute volée qui incarne avec talent des personnages en permanence sur le fil du rasoir, avec en particulier Kim Sun-a parfaite en passionaria déterminée malgré son invalidité (vue auparavant dans la comédie She’s on Duty ou l’actioner Yesterday), opposée au psychotique On Joo-Wan (un des duettistes de City of Violence), monstre de froideur et de rage contenue. Qui plus est, Jeong Yeon-shik n’hésite pas utiliser à bon escient la carte du gore dans quelques séquences outrancières propre au cinéma local tel que nous l’aimons, et qui contribuent à faire de Fives une des réussites majeures de cette section Thriller.
Ablations
Partageant avec le film traité ci-dessus la thématique du don d’organes mais sous la contrainte, la coproduction franco-belge Ablations est la première réalisation du jeune Arnold de Parscau, avec au scénario un certain Benoît Delépine. L’immortel Michael Kael quitte ainsi les rivages de la comédie noire sociale qui a fait son succès dans ses collaborations avec Gustave de Kerven (Le grand soir, Louise Michel) pour pénétrer sur le terrain plus exotique en France du thriller horrifique. Centré sur les déboires de Pastor (Denis Ménochet), visiteur médical qui se réveille un matin avec un rein en moins suite à une nuit de beuverie, le scénario navigue ensuite entre l’enquête qu’entreprend le donateur malgré lui, aidé par une ex-maitresse qui veut revenir dans son giron (Florence Thomassin au charme trouble) et les agissements du couple de préleveurs (les inévitables Philippe Nahon et Yolande Moreau) habité par leur mission. Mais un manque de cohérence au niveau scénaristique, avec une ambiance qui hésite entre le thriller psychologique et le tragi-comique, finit par rendre peu passionnants les errements de Pastor qui cherche à trouver une raison à son trouble destin.
Entre quelques apartés fantastiques qui sont là pour un peu meubler une narration hésitante et un comédien qui semble rester un peu en dehors de l’action (le pourtant très bon Ménochet, vu dernièrement dans Grand Central), Ablations navigue entre deux eaux avant de trouver son rythme dans son dernier tiers. De Parscau opte enfin pour une optique de film noir qui donne à l’ensemble une cohérence et une saveur jusque là absente, avec la dose de cruauté et d’absurde qui manquait. Si au demeurant le spectacle peut paraître un peu décevant, malgré une mise en images des plus correctes, Arnold de Parscau prouve qu’il est un réalisateur à suivre sur le circuit bien étroit du cinéma de genre français : il suffit qu’il trouve à l’avenir un scénario bien mieux charpenté, moins timide et limité par ses hésitations.
Horror Stories 2
Corée du Sud encore avec Horror Stories 2, anthologie en trois segments qui fait suite à un premier volet sorti en 2012. L’exercice du « sketch » reste très prisé des cinéastes locaux comme en témoignent les succès précédents d’œuvres comme Trois Histoires de l’Au-delà et Doomsday Book en 2013. Plus ancré dans le pur fantastique que son précédent opus qui explorait une forme d’horreur sociale, Horror Stories 2 raconte encore une fois des histoires de fantômes mais dans des styles complètement différents, ce qui permet d’éviter un ennui souvent fatal. Démarrant très fort avec The Cliff, réalisé par Kim Sung-ho (scénariste de Into the Mirror), Horror Stories 2 se prend un petit coup de mou avec le barbant The Accident avant de finir en beauté dans le délire le plus total de The Escape, réalisé par Jung Bum-sik, déjà présent pour le premier opus. Si le second sketch narrant la confrontation de trois naufragées de la route après un accident, qui se trouvent confrontées à la menace de spectres de plus en plus envahissant, fait dans l’anecdotique, l’entrée en matière qu’est The Cliff se révèle être d’un tout autre tenant. Très bien mis en scène, doté d’une atmosphère mystique prégnante et jouant avec habileté sur les sensations de vertige, ce huis-clos à flanc de falaise réussit à ménager quelques bons moments de trouille et arrive à faire passer comme une lettre à la poste sa morale sur les effets de la cupidité et de l’avidité érigées en dogme dans notre monde moderne.
Mais rien ne préparait les festivaliers au démentiel dernier segment, croisement entre le Joe Dante de la grande époque et le meilleur des productions Shushi Typhoon. D’ailleurs un esprit plus que japonisant flotte sur The Escape et son côté manga live assumé. L’odyssée de ce professeur envoyé dans une dimension infernale parallèle par un élève sataniste allie une réalisation dynamique et colorée à un humour ravageur qui navigue entre non-sens montypythonien et gags à la Tex Avery, voir le trash le plus complet. Dans cette version de l’Enfer de Dante sous acide, tout s’enchaîne avec grande vitesse mais concision, avec quelques séquences qui resteront en mémoire tel ce dîner au mets plus que ragoutant (estomacs sensibles… accrochez-vous !) ou l’aparté rock’n’roll avec des sorcières sexuellement agressives, des moments qui permettent de conclure l’expérience de Horror Stories 2 sur une note plus que positive.
The Profane Exhibit
La réussite, ce ne sera pas le destin de cet autre film à sketches qui s’est révélé être une vraie torture au visionnage. Produit dans le but de profiter de l’engouement suscité par les expériences de ABC of Death, V/H/S et autre Theatre Bizarre, avec comme méthode employée la juxtaposition des jeunes talents du genre et des vieux briscards du métier dans ce qui devrait être une véritable explosion de délire gore et trash, The Profane Exhibit échoue dans à peu près sur tous les tableaux. Déjà le métrage proposé au Bifff était présenté sous une forme technique non aboutie (image non étalonnée) mais il était de plus incomplet (il manquait deux segments !). Cela n’a pas manqué de frustrer un public qui de surcroît n’a que moyennement apprécié cet étalage de bas instincts qui vont de l’inceste à la pédophilie en passant par la nécrophilie. De ce fatras inconsistant et très pauvre visuellement, avec une image vidéo qui trahit le manque de moyens et d’ambition de l’ensemble, il n’y a que le sketch final (pour l’instant ?) de Nacho Vigalondo (Extraterrestre) à sauver, avec une idée de mise en scène théâtrale qui fait son effet. Mais que dire du reste ? Malgré des pointures aux manettes telles que Sergio Stivaletti et Ruggero Deodato, voire Uwe Boll dans ses meilleurs moments (si, si). Cette tentative malhabile de faire dans le politiquement incorrect en appuyant à fond sur le champignon du craspec débouche au final sur un pensum assez gênant et incommodant, qui restera un des rares gros faux pas de la sélection du Bifff.
Time Lapse
Après le mauvais exemple donné par le film à sketches The Profane Exhibit, qu’il est bon de voir une œuvre au budget plus que modeste mais qui réussit à tenir le spectateur en haleine comme Time Lapse. Si cette histoire de paradoxe temporel n’atteint pas les sommets du Time Crimes de Nacho Vigalondo ou de Safety Not Guaranteed de Colin Trevorrow, la première réalisation de Bradley King, aidé au scénario par son compère B.P. Cooper, s’inscrit parmi les bonnes surprises du genre de la science-fiction intimiste (une approche de plus en plus employée par les jeunes réalisateurs). Son scénario de base voit trois colocataires, le couple Callie/Finn et leur pote Jasper, être confrontés à l’invention fantastique de leur voisin, à savoir un appareil photographique capable de prendre un polaroïd des évènements censés se dérouler 24 heures plus tard. Ainsi les trois compères seront amenés à calquer leurs vies sur les détails fournies par cette fenêtre sur leur futur, tout en prenant quelques arrangements avec la morale pour améliorer leur morne quotidien.
Sur ce pitch de base que l’on pourrait qualifier d’hitchcockien, la référence à Fenêtre sur cour étant plus qu’évidente, la suite de péripéties orchestrée par Time Lapse tient la route, avec une évolution des personnages qui tient la route, malgré quelques deus ex machina de circonstance qui ne gâchent en rien le spectacle proposé. Pour son premier long-métrage, Bradley King réussit son coup d’essai, évitant le piège du huis-clos empesé et surtout celui du paradoxe temporel qui se mord la queue, réussissant à tenir en haleine avec cette idée simple : comment susciter la surprise lorsque presque tout est connu à l’avance ? S’il est à regretter quelques scories, surtout dans l’utilité de quelques personnages secondaires, ou dans une surabondance de dialogues destinés sûrement à meubler un métrage qui aurait gagné à plus de concision, Time Lapse est de ces œuvres fréquentables à guetter dans le cas d’une sortie française (non encore d’actualité) et permet d’entrevoir pour Bradley King un destin à la Gareth Edwards (Godzilla) avec une production plus richement dotée à diriger dans l’avenir… et cela sans utiliser de machine temporelle !
Control
Pour finir, vous reprendriez bien une dose de cinéma asiatique ? Avec Control, le réalisateur Kenneth Bi, classé au rayon arty (le drame Rice Rhapsody en 2005) passe au thriller de science-fiction à gros budget, avec une coproduction sino-taïwano-hongkongaise et un casting pléthorique où l’on croise Daniel Wu (Europa Report), l’insubmersible Simon Yam et la vénérable Kara Hui. Coincé entre devoir familial et serment professionnel, Mark (Daniel Wu en costard cravate très seyant du début à la fin) commet un parjure en justice et se trouve soumis au chantage d’un mystérieux manipulateur qui le pousse à accomplir des actes délictueux, dont un braquage qui va l’amener à être sous le feu de mafieux des plus dangereux. Sur la base d’une intrigue à tiroirs, qui emprunte autant à Die Hard : With a vengeance qu’à certaines ficelles des thrillers de Johnnie To, Control déroule comme du papier à musique les diverses péripéties qui emmèneront Mark jusqu’à l’ultime limite, croisant au passage une ex-petite amie qui sera aussi impliquée et un détective retors.
Mais Kenneth Bi commets trop d’impairs pour que Control sorte de l’ornière du simple film d’action de série B comme Bien inoffensif : l’environnement science-fictionnel se révèle totalement inexploité et, pire, complètement en décalage avec l’action. L’importance que revêt par exemple la livraison d’un simple colis dans un univers où la dématérialisation est reine devient assez limitée ! Surtout, l’option d’un premier degré ostensible, versant souvent dans le mélo, rend automatiquement clichés les nombreux rebondissements d’une intrigue qui s’achèvera sur un retournement de situation bien éculé… mais que Kenneth Bi n’hésitera pas à nous réexpliquer une seconde fois, histoire d’enfoncer le clou. Heureusement qu’il y a Simon Yam pour nous amuser et qu’au niveau violence, Kenneth Bi se montre assez généreux pour « envoyer la sauce », en faisant des œillades plus que marquées à John Woo. Preuve que la parenthèse cinéma d’auteur du réalisateur, qui devrait embrasser avec Control une carrière plus mainstream, semble bel et bien être terminée.